Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/520

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jusque-là, ils n’avaient guère été observés, par les Hollandais et les Flamands, que sous le rapport purement pittoresque et le plus souvent grotesque. Le vieux Breughel, après s’en être souvent moqué, paraît, seul, les avoir pris au sérieux dans le poignant tableau des Aveugles. En France, chez Watteau, ils ne sont que des petits-maîtres travestis, et plus tard, chez Boilly, ils n’offrent aucun autre intérêt que celui d’un renseignement.

Léopold Robert, si décrié par les rapins, est peut-être le premier qui les aima véritablement et qui, impuissant à la rendre, n’en vit pas moins leur beauté, le côté noble de leurs attitudes et de leurs mœurs. Il les mit sous le ciel, leur décor naturel. Il en fit tomber sur eux les premiers effluves d’azur qui eussent frissonné dans la flamme du couchant. Il le fit maigrement, emphatiquement, je le sais ; mais je ne lui en suis pas moins reconnaissant pour la délicieuse impression que j’en éprouvai, la première fois qu’au sortir de mon enfance, je vis les Moissonneurs au Luxembourg ! Ce tableau vient d’être enlevé du Louvre. Quand ce ne serait que pour son intérêt historique, on aurait dû l’y conserver. Il réalise le goût public d’une époque. N’oublions pas que Lamartine, Alfred de Musset, Henri Heine et autres grands écrivains l’ont hautement admiré. C’est quelque chose que d’avoir entrevu une nouvelle route vers des horizons inconnus.

On regarda aussi plus sérieusement le peuple des villes. Daumier, H. Monnier on accentuèrent certains types inoubliables, et Gavarni, d’un crayon singulièrement expressif, en a tracé une sorte d’épopée héroï-comique du plus haut intérêt. Adolphe Leleux donna, dans ses tableaux de paysans basques et bretons, une note plus intime que celle de Léopold Robert, mais il ne fit qu’effleurer un genre qui demande de profondes études. François Millet nous on donnera, plus loin, l’exemple. En 1848, il en était encore à ses premières recherches dans un caractère bâtard : un compromis entre l’afféterie du style Louis XV et une enflure maçonnée et molle à la fois, qui cherchait Michel-Ange. Tel son Œdipe exposé dans la galerie de bois qui longeait, alors, la grande galerie du Louvre. Le public ne s’en préoccupa guère. Il y avait pourtant je ne sais quoi de troublant dans la confusion lourde de cette toile dont une force secrète cherchait à se dégager.

Dès mon arrivée à Paris, en 1847, je me passionnai pour le mouvement naissant qui entraînait une partie de la jeune école vers les scènes populaires. Cependant, en attendant que je fusse