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On crut l’heure arrivée, le 3 janvier 1866, quand le général Prim essaya de se prononcer dans les plaines d’Aranjuez. Mais la tentative échoua, et Prim dut tourner bride vers la frontière du Portugal. Malgré ce piteux échec, le gouvernement n’était point rassuré ; les esprits étaient inquiets ; une agitation sourde présageait l’émeute ; durant plusieurs semaines, on la sentit dans l’air ; c’était comme un orage qui planait sur Madrid. Il éclata le 22 juin.

On rapporte que cette matinée fut sinistre. De sombres nuages passaient dans un ciel affreux. Dès l’aube, la capitale s’éveillait au bruit formidable des canons : les artilleurs de la caserne de San Gil s’étaient révoltés ; le reste de la garnison secrètement gagnée allait les suivre. En même temps, les barricades s’élevaient de tous côtés. Le gouvernement de la Reine paraissait perdu ; le sang-froid de O’Donnell, l’énergie de Serrano et de Manuel Concha le sauvèrent. Ces généraux ressaisirent les régimens qui leur échappaient et, les tournant contre l’insurrection, l’isolèrent. Ce fut en vain que les malheureux artilleurs se battirent avec un courage désespéré ; en vain que les chefs du parti démocratique coururent les barricades, excitant l’émeute : avant la fin du jour elle était écrasée. Castelar avait payé de sa personne, rédigeant une proclamation et haranguant les insurgés, se mêlant même, dit-on, aux combattans. Il dut se cacher pour se soustraire à la répression, qui fut atroce. Dans ces journées lugubres où les prisonniers tombaient sous les feux de peloton, ses amis le conduisaient de maison en maison, trompant les recherches de la police. Il trouva un asile à la légation des États-Unis, et ce fut là que deux de ses adversaires politiques, MM. Navarro Rodrigo et Lopez de Ayala, vinrent le chercher, pour le mener jusqu’à la frontière. Castelar put gagner Paris. Là, il apprit que le cautionnement de son journal était confisqué, que le ministère poursuivait contre lui les procès de presse commencés naguère, puis suspendus, enfin qu’il était condamné à mort, à la peine dite du garrote vil.


VARAGNAC.