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de la monarchie restaurée. Castelar le rappelait un jour, dans les Cortès, avec ce fin sourire où il mettait tant de bonhomie et d’ironie : « M. le président du Conseil et moi, disait-il à M. Sagasta, nous nous connaissons depuis longtemps : j’ai fait ma barricade tout à côté de la sienne. »


IV

L’heure était favorable. Plus tôt, cette entreprise risquait fort d’être prématurée ; plus tard, elle eût été sans nul doute impossible avec le système de compression à outrance que Narvaëz et Gonzalez Bravo firent peser, vers la fin, comme un joug. Mais, en 1863, on était dans une de ces époques de demi-mesures et de demi-liberté, admirablement propres aux tentatives révolutionnaires. Des ministères formés de la poussière des anciens partis se succédaient, vaines ombres, et tournaient indéfiniment dans le même cercle d’intrigues. L’opinion était lasse d’une politique indécise, tout à la fois réactionnaire et impuissante, qui n’était franchement ni constitutionnelle ni absolutiste. Quand sortirait-on de cette impasse ? Castelar sentait avec son extraordinaire vivacité d’impressions ce qu’il y avait de stérile et de faux dans ce régime louche, jouet d’une main capricieuse. Il désespérait de toute réforme tant que la Reine serait là ; les Bourbons étaient, à ses yeux, l’obstacle qu’il fallait d’abord renverser, et à tout prix ! Sa conviction faite, il dressa ses batteries et ouvrit le feu. Le 1er janvier 1864, paraissait un nouveau journal, la Democracia. Quel en était le programme ? Une révolution.

Nous pouvons suivre en son détail, et presque jour par jour, cette guerre de deux années : il a recueilli ses articles, au moins les principaux, dans les trois volumes intitulés Cuestiones politicas y sociales. On y saisit au vif le grand journaliste révolutionnaire que Castelar fut alors. Ici il ne s’inspire d’aucun modèle. Il est lui, et lui seul, avec sa foi mystique dans les idées, ses belles ardeurs de poète militant, — archange et apôtre, — et les contrastes, les antinomies si frappantes de son étrange nature où tant de bon sens se trouvait mêlé aux doctrines les plus chimériques ! Et c’était bien aussi un révolutionnaire à part, lequel avait du tribun l’exaltation, non les rudesses ; poussant à l’extrême la franchise de l’hostilité ; avec cela, gardant son exquise noblesse d’âme, et sachant observer, quand il fallait, tous les égards, toute