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du cratère, à peine ébauchées, — et les austères leçons, si méthodiques et didactiques, de nos maîtres français ! Pour trouver chez nous des exemples d’un enseignement semblable, si toutefois c’est un enseignement, il faut évoquer le souvenir des cours orageux que Michelet et Edgar Quinet firent jadis au Collège de France. En Espagne même, c’était chose inusitée. A cet égard, je pourrais citer les leçons, si différentes, que Donoso Cortès avait prononcées, quinze années avant, dans ce même Athénée de Madrid[1]. C’était, il est vrai, le droit public, matière aride, que Donoso Cortès y étudiait ; et il convient d’ajouter que ce grave personnage procédait de nos doctrinaires. Il en a dans ses livres l’allure dogmatique, un peu hautaine, la spécieuse rigueur, je ne sais quoi de voulu, d’inflexible, pour tout dire, l’accent doctoral, que Castelar, avec son lyrisme ingénu, sentimental et débordant, ne saurait avoir. De même la phrase, chez Donoso Cortès, est bien autrement nette et précise ; presque toujours adéquate à la pensée philosophique qu’elle énonce. Mais il manque à sa dialectique le mélange séduisant d’ardeur et de grâce, l’élan et le rayon, et cette vie intense de l’âme qui, au contraire, circule à flots dans le moindre des écrits de Castelar.

Là, en effet, était le charme, là était le triomphe de ces leçons. Quant au fond même, elles sont peu solides. De plan, on n’en voit guère. Le maître semble aller à l’aventure ; à maintes reprises, il revient sur ses pas. Ce sont de belles conférences, où les thèmes poétiques et les majestueuses amplifications se déroulent à perte de vue. Dans ce vaste cadre aux contours indéterminés, la société païenne et les barbares, les arts de la Grèce à leur déclin et le Christianisme à son aurore, les Empereurs, les apôtres, tout ce monde gréco-romain brille et s’agite un peu confusément ; ce n’est point un cours régulier. Mais, en vérité, ce qu’on venait chercher dans cette étroite salie où la foule enthousiaste des auditeurs s’entassait longtemps à l’avance, étaient-ce des dissertations substantielles faites dans les règles par un sage érudit ? On venait écouter cette éloquence au rythme enchanteur ; on venait se livrer au courant de l’entraînante parole ; on venait recevoir le reflet brûlant de cette flamme si haute ! Il excitait les âmes, il les catéchisait. Et nous voyons reparaître ici, comme en son roman de jeunesse, La Hermana de la Caridad, cet étrange

  1. Lecciones de derecho politico en et Ateneo de Madrid, t. Ier des œuvres de Donoso Cortès ; Madrid, 1848.