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restrictions ; liberté complète de la presse sans cautionnement ni éditeur responsable ; suffrage universel... »

Ce qui me frappe, dans ce programme, c’est, à le bien considérer, l’esprit de modération, disons davantage, l’esprit d’honnêteté qui y règne. Assurément, la plupart de ces formules étaient terriblement vagues ; or, rien de plus séduisant, mais aussi de plus dangereux ! Quant aux réformes en elles-mêmes, plusieurs étaient prématurées, sinon irréalisables en tout temps. Et, par exemple, la liberté illimitée de la presse, le droit d’association sans rien pour le régler, sinon pour le restreindre, étaient, dans la pratique, des revendications insensées. Mais, à côté, le programme contenait des desiderata très justes. D’une façon générale, on peut dire que la doctrine reposait sur une conception saine des rapports de l’Etat et de l’individu. A la vérité, on n’y voit pas percer encore le noble souci de légiférer en faveur des humbles. Mais aussi nulle idée d’exclusion ni de spoliation ; nul appel à la haine des classes et à la violence. Tout tendait à la liberté. On respectait la propriété individuelle ; on ne songeait pas à refaire le monde ; on n’annonçait pas la venue d’une république idéale où le prolétaire écraserait le bourgeois sous son talon. Ces folies criminelles n’ont pénétré en Espagne que plus tard. M. Pi y Margall, pour sa part, s’est employé de son mieux à inoculer à ses concitoyens le virus qu’il avait patiemment extrait des écrits de Proudhon. Mais la terre d’Espagne était réfractaire à ce qu’on est convenu d’entendre par le mot socialisme. Si l’on excepte quelques grands centres, cet euphorbe exotique n’y pouvait croître sans beaucoup de peine. Sous un ciel clément, dans un pays de petite industrie, où la population clairsemée avait peu de besoins, partant moins de misère, la question sociale ne se posait pas avec l’intensité qui la rend si effrayante et si poignante dans d’autres pays. C’étaient surtout rêveries de sectaires et drapeaux de rébellion. C’était, en tout cas, une importation de l’étranger. Au fait, il en a été de même de la démocratie, de la république, et de la royauté parlementaire, de toutes les formes nouvelles de la politique en Espagne où il n’y eut longtemps que deux institutions vraiment nationales, l’Eglise et la monarchie absolue. Chez ce peuple ignorant, plus capable d’attachement que de raisonnement, ces deux cultes avaient jeté des racines presque indestructibles. De là vient que les institutions parlementaires y ont eu fort longtemps une existence artificielle