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Mais il y a loin de cet ensemble très hétérogène d’immunités féodales à ce qu’on nomme démocratie. Les prérogatives des Cortès de Castille, les franchises des comuneros, les fueros d’Aragon, les privilèges des corporations telles que la Sainte Hermandad offraient ce trait commun d’être précaires, locales ou provinciales, et de diviser les élémens sociaux, au lieu de les fondre en un tout unique. On retrouve d’ailleurs presque partout, au moyen âge, ces institutions propres à des catégories de personnes et qui limitaient partiellement l’autorité des souverains ou des suzerains. Nous-mêmes, n’avions-nous pas nos Etats-Généraux, nos chartes municipales, les droits si étendus de nos Parlemens, les privilèges conférés à des établissemens séculaires, tels que les Universités ? En étions-nous plus près de la démocratie ? Non ; ce mot très nouveau, ou très ancien, désigne un système politique qui ne pouvait trouver place dans les compartimens multiples et inégaux du monde féodal. La démocratie, les Grecs et Rome la connurent, mais avec les esclaves, et renfermée dans les murailles étroites de la cité ; à la différence de cette autre démocratie, capable d’embrasser des nations entières et, au sein de ces nations, tous les hommes qui y vivent. Cette démocratie-là est de notre temps. Les États-Unis, il y a cent ans, en ont réalisé le prototype. La Révolution française est ensuite venue, qui en a semé les germes à travers l’Europe. L’Espagne les a reçus de nous. C’étaient nos idées, nos exemples qui animaient les réformateurs des Cortès de 1812 et de 1820, les Galiano. les Argüelles, les Martinez de la Rosa. Mais ces illustres libéraux, qui furent les pères de l’Espagne d’hier et d’aujourd’hui, étaient-ils bien des démocrates ? Leur idéal n’allait point au delà de cette royauté parlementaire qu’ils contemplaient en Angleterre et dans notre pays. Il y avait bien, à côté d’eux, un parti plus avancé, les exaltados. révolutionnaires de tempérament ; mais quel était le programme de ces exaltés ? Et en avaient-ils seulement un ?

Le premier qui arbora le drapeau et y inscrivit la formule initiale de la nouvelle démocratie espagnole fut Orense, marquis d’Albaïda, vétéran de la révolution et patriarche de la République au de la des Pyrénées, mélange de La Fayette et de Raspail castillan. Dès 1844, seul novateur dans des Cortès de réaction, Orense proclama pour la première fois son manifeste. « Les bases d’une constitution-vérité, disait-il, sont : respect inviolable du foyer domestique ; respect de toute propriété ; droit d’association sans