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ingénuité extraordinaire ; ils nous révèlent la jeunesse d’un cœur et un état d’âme singulier.

Castelar avait vingt-cinq ans lorsqu’il publia les deux volumes de La Hermana de la Caridad. Fort connu déjà, il était à la veille d’inaugurer ses mémorables leçons de l’Athénée. Mais l’érudition précoce du jeune maître n’avait d’égale que l’inexpérience presqu’absolue du romancier. A lire cette production naïve, vous croiriez qu’elle était l’œuvre d’un écolier demeuré très sage sous la discipline de bons prêtres. Il y a sans doute des parties brillantes, et un style où perce malgré tout la maîtrise de l’écrivain. Mais il y a aussi, d’un bout à l’autre de ce bizarre roman, un sublime continu, une poésie creuse, un débordement de métaphores outrées qui fatigue. Le sujet, d’ailleurs, trahit une extrême faiblesse d’invention.

Le principal personnage est une pauvre jeune fille, — pauvre par sa condition, mais riche de tous les dons de la foi, — qui aime d’un platonique amour un homme de haut rang. Dédaignée et blessée au cœur, elle s’attache à ses pas, mais pour être son bon ange et convertir au bien sa pauvre âme pécheresse. Pour elle, morte au monde et à ses vaines joies, elle devient sœur de charité (d’où le titre du livre), et désormais consacre à Dieu les extases de son amour mystique... Le cadre où cette fiction séraphique se déroule est la baie de Naples, — une réminiscence de Lamartine, — à quelle époque ? On ne l’aperçoit guère ; et en effet nulle couleur locale, nulle description un peu précise. Les personnages sont des fantômes de rêve ; ils glissent impalpables dans un vague décor de féerie. Vous rappelez-vous avoir lu, dans le Vicaire de Wakefield, l’amusante anecdote de ce peintre de village qui, faisant les portraits des divers membres d’une famille, imagina de les représenter tous avec une orange dans la main ? C’est un peu le cas des personnages de La Hermana. Tous ont le même son de voix ; tous lèvent vers le ciel des yeux remplis de larmes ; tous épanchent leur douleur plaintive en un lyrisme élégiaque et sans fin. La vérité est que Castelar parlait tour à tour par la bouche de chacun d’eux ; et, à cet égard, je ne connais pas de roman plus subjectif ; c’est, à le bien regarder, la confession d’une âme. Lorsque le livre parut, les plaisans ne manquèrent pas d’appeler l’écrivain du nom de son héroïne ; et les plaisans n’avaient pas tort ! Cette plaintive sœur de charité, cette rose mystique, en son abnégation de sainte, reflétait l’idéal de vertu agissante dont