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François d’Assise, comme il contemplait du haut de la colline sainte le mélancolique décor qui entoure le couvent de la Portioncule, il revoyait par la pensée le coin de terre béni où était, disait-il, « la poésie de son cœur ; » et ces souvenirs lointains lui inspiraient les premières pages si touchantes de l’étude qu’il a consacrée au grand mystique italien : « Dans mon enfance, lorsque nous approchions du deux août, que la moisson et le battage dans l’aire étaient achevés, et que les raisins commençaient à se peindre, les noirs prenant une claire teinte violette, les blancs la transparence de l’ambre ; dans ces soirées ardentes et sereines, toutes vibrantes du concert des grillons et des cigales, on célébrait une cérémonie religieuse, un mystique pèlerinage, une sorte de jubilé que je n’oublierai jamais[1]... » Ce culte espagnol, si pittoresque dans un cadre rustique, et si frappant, si effrayant même par les pompes tout ensemble réalistes et symboliques qu’il déroule aux regards des fidèles, s’était emparé de son imagination avec une puissance incroyable : « J’accourais tout enfant, dit-il ailleurs, aux offices de la semaine sainte, dans l’église où je fus élevé. La désolation du temple, au Vendredi saint, me remplissait de terreur. Les lampes éteintes, les autels dépouillés, le sanctuaire ouvert et abandonné, le voile noir étendu sur nos têtes, comme les ténèbres sur le Calvaire, les stances de Jérémie frappant les airs de pleurs et de lamentations, me faisaient trembler[2]... » Déjà pourtant sa raison s’éveillant interrogeait le dogme : « Expliquez-moi le mystère de la Trinité, demandait l’enfant au curé ; comment trois personnes n’en peuvent-elles faire qu’une ? » Mais l’imagination était plus forte. Et puis, c’était la religion de sa mère, « l’être au monde qu’il a le plus aimé. » Tant que sa mère vécut, il voulut concilier ses opinions nouvelles et ses anciennes croyances. Un jour vint où il dut opter, et s’éloigner à jamais du sanctuaire. Mais il garda l’empreinte et comme l’arôme de la foi perdue. Dans tout ce qu’il a dit ou écrit, Castelar est un spiritualiste. Son libre examen ne met en doute ni la providence de Dieu ni l’immortalité de l’âme. Sa pensée tient par les racines au fond chrétien.

Le fait est que l’influence souveraine, ce fut sa mère qui l’exerça. Mme Castelar était, au témoignage des personnes qui

  1. Recuerdos de Italia, Segunda parte ; 1876.
  2. La Civilizacion en los cinco primeras siglos del Cristianismo ; t. IV. Cartas à un obispo ; Madrid, 1865.