Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/455

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’auteur l’ait entrepris pour attester l’influence considérable exercée par George Sand en Russie et non pour acquitter, mais pour reconnaître la dette contractée par la littérature russe envers notre compatriote. « C’est en envisageant George Sand comme force russe, comme l’une des souches primordiales de la conscience sociale russe de notre temps que nous avons considéré comme de notre devoir d’écrivain russe de lui consacrer une étude sérieuse. » Elle rappelle l’enthousiasme des hommes des « années quarante » pour l’œuvre de la romancière ; les enfants ont grandi en partie sous l’influence d’hommes élevés dans George Sand ; la génération actuelle est composée de ses petits-fils spirituels. Et elle suit chez les maitres de la littérature russe les progrès de cette influence. « Les Mémoires d’un chasseur de Tourgueniew, qui ont joué un rôle si important dans notre histoire et ont été un des leviers les plus puissans de l’émancipation des serfs, ont dû leur origine à l’influence exercée par George Sand... « Croyez-moi, écrit lui-même Tourgueniew, George Sand est une de nos saintes. » Se référant à ses propres souvenirs, Dostoïewsky explique l’émotion que causèrent ces œuvres jetant au milieu du silence universel qui pesait alors sur la Russie des appels qu’on n’avait pas songé à étouffer, faute d’en avoir prévu le retentissement. À cette époque éloignée les romans étaient presque les seuls ouvrages qui fussent autorisés en Russie pendant que tout le reste, comme presque toute pensée, surtout celles venant de France, était sévèrement interdit... Tout ce qui pénétra alors en Russie sous la forme du roman rendait non seulement les mêmes services à la cause, mais peut-être de la façon la plus dangereuse, car il est très probable que les gens désireux de lire Louis Reybaud n’ont pas été très nombreux, tandis que les lecteurs de George Sand se comptaient par milliers. » Tolstoï lui est aussi bien redevable ; et pour ce qui est notamment de la peinture des paysans, notre auteur remarque avec finesse qu’on les avait jusqu’alors représentés comme des barbares, comme des monstres sans rapports avec nous, placés en dehors de notre humanité ; en lisant les scènes populaires de Tourgueniew, de Tolstoï ou de George Sand, nous sentons en leurs personnages nos semblables, nos proches, nous y retrouvons les traits typiques que, vivant à la campagne, on peut observer partout, cette campagne se trouvât-elle d’ailleurs en plein Berry ou dans les gouvernemens de Riazan ou de Novgorod. Les rapprochemens qu’elle institue entre George Sand et les plus fameux des écrivains russes sont fréquens et probans ; et il est piquant de voir telles pensées de notre romancière illustrées par les gloses des commentateurs russes,