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Sophie-Antoinette Delaborde est la vraie fille des rues de Paris. Emportée, violente, bruyante, dénuée de tact et de toute espèce d’éducation, à la moindre contrariété son sang peuple ne fait qu’un tour et lui monte à la tête. Alors ce sont des cris, c’est une tempête, c’est un débordement d’outrages et de calomnies fangeuses. Au surplus elle n’y met pas de malice et n’en veut pas à ceux qu’elle vient d’injurier. Incapable de mettre deux jours de suite le même chapeau ou de dîner au même restaurant, elle porte dans ses sentimens la même mobilité, passe d’un extrême à l’autre, de la tendresse passionnée à la haine folle, des pleurs de joie aux pleurs de rage. Bonne ménagère d’ailleurs, industrieuse, habile à tirer parti d’un chiffon, entendue aux menus soins de la vie pratique, occupée à surveiller son intérieur en petite bourgeoise économe. Déjà mère avant d’avoir connu Dupin, elle retourne, après la mort de celui-ci, à ses habitudes d’inconduite, moins par libertinage que par laisser aller, abandon, et goût inné de l’intrigue. Tout à fait inapte à élever sa fille, ce qu’elle n’essaie d’ailleurs pas, elle ne l’aime qu’à intervalles, par accès, et moins par affection pour l’enfant que par haine contre sa belle-mère. Uniquement occupée à contrecarrer les enseignemens de celle-ci, elle tourne en ridicule les idées, les manières du monde des « comtesses » avec cette verve comique, cette gouaillerie grossière, ce don pour les « imitations » qui sont les formes basses de l’esprit parisien. Lors de l’ouverture du testament de Mme Dupin qui lui retirait la tutelle d’Aurore, elle entre en fureur, fait à tous les assistans une scène épouvantable, accable de reproches Deschartres, maudit Aurore dont elle ne s’était pas occupée depuis plusieurs années, vilipende la défunte et déclare enfin qu’elle ne cédera pas ses droits, qu’elle prendra sa fille chez elle. Aurore comprit ce jour-là quel abîme la séparait de cette mère pour qui elle avait éprouvé jadis une tendresse exaltée. Elle voulut vivre pourtant avec elle. Quelle différence avec la vie de Nohant mêlée de libres lectures et de courses dans la campagne silencieuse ! Crédule, comme les gens de sa classe, Sophie-Antoinette ajoute foi à tout ce que les commères de la Châtre ont inventé de plus odieux contre Aurore. Elle l’écrase sous le scandale de son immoralité prétendue, jette ses livres au feu, s’emporte jusqu’à la battre. Quand il s’agit du mariage avec Casimir Dudevant, elle hésite, dit un jour oui, un jour non, taquine Casimir, débile sur son compte toutes sortes d’inventions, entre autres qu’il avait servi autrefois comme garçon de café. Ce qui finit par la décider c’est que la baronne Dudevant, belle-mère de Casimir, vint la première lui faire visite et eut pour elle des attentions qui la flattèrent. Il se