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L’autre, pas un mot. Il enlève son manteau, l’enroule et le jette sur le pavé ; puis, rampant le long du mur, il s’élance sur Nino et l’attrape, là, au côté.

Quand on vit luire le couteau, il cria : « Sainte Vierge ! Maman ! Ninetta ! » — Ahl taisez-vous ! il me semble que je le vois encore !

Il fit deux pas, s’accrocha au barreau d’une grille sous un escalier, et tomba mort dans la boue.

Ah ! si tu avais vu Schizzo !... Il jette son accordéon, il saute par-dessus le mort, son couteau à la main, il se sauve dans la ruelle, et nous ne le voyons plus.

Nous allons auprès de lui, le pauvre. Nous le relevons, déjà pesant, de la flaque de sang qui lui sortait là, de la poitrine. Il respirait encore. Lentement, lentement.

Il ouvrit les yeux, et, la bouche tordue, nous fait : « Frappez un coup à la porte ; je veux la revoir encore une fois. »

Et tandis qu’il râlait, nous entendîmes Schizzo crier, là-bas, du coin de la rue : « Sauvez-vous, garçons, je l’ai tué ! »


N’y a-t-il pas, dans ce récit bref, et plein de passion contenue, quelque chose d’analogue à l’énergie que le Turiddù de Cavalleria Rusticana met dans sa chanson sicilienne ? Chez Pascarella, la belle forme du sonnet acquiert ainsi, par le choix et le développement serré du sujet, une nouvelle valeur, une valeur dramatique, là comique, ici tragique. Et la poésie dialectale en devient plus romaine encore, romaine non plus seulement par le langage et par le style, mais par l’invention même du thème dramatique, choisi de façon à mettre en relief ce qu’il y a, au fond des âmes romaines, de plus essentiellement, de plus curieusement, de plus activement romain.

Quant aux vingt-cinq sonnets de Villa Gloria, publiés ensuite, il faudrait être Italien pour les goûter pleinement. C’est le récit d’une lutte soutenue par les patriotes, aux portes de Rome, contre les soldats du pape, en 1867. Un ami de Pascarella, qui avait entendu raconter cet exploit par un vieillard qui y avait pris part, conduisit le poète dans l’osteria où l’on rencontrait ce frère d’armes des Cairoli. Sa fougue, l’ardeur de ses souvenirs, la beauté de ses expressions frappèrent tellement Pascarella, qu’il ne put dormir. Le lendemain il retourna chez le narrateur et l’emmena, pour ranimer sa mémoire, sur les hauteurs de la villa Glori, théâtre du combat. C’est là que le poète sentit dans toute sa grandeur et arrêta dans tous ses détails cette épopée populaire,