Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/404

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

allemande. Nous aurons l’argent et la terre. » — «Et l’eau ? » lui demandai-je. Il me répondit par un verset de la Bible et par le mot de Shakspeare. Dans cette ville de Hong-Kong, si riche en contrastes, celui des deux clubs ne m’a pas le moins intéressé : l’un, le club anglais, s’élève en face de la mer, d’un seul jet, indépendant, superbe, embrasé dès l’aurore, plein de figures arrogantes ; l’autre, le club allemand, à l’intérieur de la ville, dans une rue montante, trapu, massif, appuie sur le roc ses arcades plus lourdes que les arches d’un pont. Les gens qui en sortent ont l’air très simple, mais solides et réfléchis, et j’en ai vu qui faisaient de grandes politesses aux Chinois.

Il y a bien une demi-douzaine de commerçans français à Hong-Kong. Ne nous plaignons pas : sans parler de notre consul qui est fort aimable, nous y sommes représentés par des hommes dont l’influence durera peut-être plus longtemps que ces palais de granit. Les Missions Etrangères y ont établi leur procure, leur imprimerie et leur hôpital. La procure est en ville ; l’hôpital et l’imprimerie, sur l’autre penchant de la montagne.

Un matin, j’ai pris le funiculaire du Peach. Il monte à une altitude de sept cents mètres dans les pins et les bambous, et vous transporte, le temps d’un vertige, au milieu d’hôtels somptueux dont les péristyles commandent l’immensité. L’humide aurore étendait, devant le perron des villas, sur les pelouses rectangulaires des lawn-tennis, un miroir vaporeux de petits lacs aériens. Des Chinois, leurs paniers en balance, cheminaient le long des sentiers abrupts, entre des haies d’arbrisseaux verdoyans ; et la route du Sanatorium coupait le versant solitaire d’une tranchée grise et rose. C’était la première fois, depuis mon départ de France, que je pouvais marcher librement nu soleil, affranchi des chaleurs équatoriales, le visage caressé d’un vent frais. Tout avait pour mes yeux un charme familier : les buissons qui bordaient la route, et l’écume gazouillante d’un ruisseau qui dévalait des hauteurs. Je franchis un pont, je longeai un réservoir limpide, au delà duquel les chaumes d’un village chinois se pressaient comme un troupeau minable, et j’aperçus deux grandes maisons blanches surmontées de clochetons et de croix.

Quand on m’introduisit dans la bibliothèque où se trouvaient les Pères, je me vis entouré d’un cercle d’apôtres barbus, blanchis au service de Dieu, et qui, sortant de déjeuner, fumaient paisiblement leur pipe. Ils me firent visiter leur imprimerie dont ils