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Et quels spectacles ! Quelle activité ! Voici l’Europe et ses grands magasins : les librairies, à côté de romans français, étalent des ouvrages anglais et allemands sur le bouddhisme, le confucianisme, le passé, le présent et l’avenir du monde oriental. La fantaisie chinoise irradie dans l’or et la porcelaine des boutiques de curiosités ; les bazars qui ont achevé leur toilette de Christmas répandent sur les trottoirs la senteur de copeaux des bergeries de Nuremberg mêlée au parfum des boîtes exotiques. Le sous-sol des Halles, où s’agite une plèbe confuse, aux lueurs des lampes vacillantes, ronfle comme une œuvre souterraine. Et voilà maintenant la Chine, une Chine relativement propre, toute en maisons à galeries, pleine de tintemens argentins et de visions d’or. Les changeurs, le nez chaussé d’énormes lunettes, qui donnent à leur face replète et ronde des yeux de chats-huans, penchés au bout d’un comptoir où s’empilent des chapelets de sapèques, font sonner et se culbuter d’un doigt prestigieux les piastres, les jolies piastres. Les caractères fantastiques se poursuivent sur les enseignes comme des diables fous. Les intérieurs de boutiques ressemblent à des décors d’opéra, avec leurs escaliers de bronze, leurs frises et leurs portans découpés, ajourés, dorés et sculptés de feuillages et d’oiseaux. Les pharmacies sont des rêves d’alchimistes qui dans un sommeil enivré reverraient flamboyer leur laboratoire. Et porte à porte, le chaudronnier bat la tôle, le vannier tresse le bambou, le rôtisseur vide ses poulets, le marchand de cierges empaquette ses bâtons d’encens, l’imprimeur grave ses planches, les cardeurs de coton tirent des sons rauques et sourds de la harpe monocorde sur laquelle ils cardent. Les rues, pavoisées d’inscriptions et de bannières, de lanternes et de poissons secs, où s’ouvrent çà et là des bars américains et des pensions de matelots chinois, charrient d’un flux rapide la vie et la mort. Ce sont des enterremens invraisemblables, au bruit des fifres et des cymbales : le cercueil, en forme de tronc d’arbre, déposé le long du trottoir ; des enfans vêtus de blanc agenouillés ou prosternés tout autour ; un concert de pleureuses, des porteurs de lanternes, de châsses et de victuailles funèbres ; une cérémonie qui commence au milieu du va-et-vient de la populace ; et, brusquement, croque-morts, châsses, lanternes, pleureuses, et le cercueil, et les porcs rôtis, tout cela s’enfuit au galop et disparaît en un clin d’œil. Et ce sont des mariages pareils à des enterremens, et des processions, mi-bouffonnes, mi-religieuses, où l’on promène des filles peintes et