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administrative, il se soucie peu, et nous avons là-dessus une indication, à savoir que, dans ses Souvenirs, il s’y arrête à peine : elles ne l’intéressent que dans la mesure où il ne peut s’en désintéresser pour la conservation et l’affermissement de son œuvre. À cette œuvre, l’Empire, il ramène toute chose. Il s’identifie avec elle, c’est-à-dire avec lui. Ses ennemis sont les ennemis, ses amis les amis de l’Empire. Il est d’Empire, sa famille est d’Empire, ses maisons sont d’Empire ; ses dogues eux-mêmes sont des « chiens d’Empire. » Ainsi qu’il voulait le faire entendre à la princesse Victoria, il est auprès de Guillaume Ier il reste auprès de Frédéric III, il veut rester auprès de Guillaume II comme la tradition monarchique incarnée, et il se rassure sur ce que verront ses enfans, si le grand-père le lègue au fils, puis au petit-fils, en leur léguant l’Empire. Mais ce n’est de l’ambition, de l’amour-propre ou de l’égoïsme qu’en tant que son Moi est passé dans son œuvre, qu’il se défend et qu’il s’aime en elle. Quiconque ose le toucher attente à l’Empire ; quiconque « intrigue » contre lui conspire contre l’Empire ; il lui semble qu’en durant sous trois Empereurs, il rend l’Empire indestructible. Fonder l’Empire par la guerre, et par la paix le rendre indestructible, pendant les huit années de la période militante et pendant les vingt ans de la période triomphante, c’est la grande pensée, c’est la seule pensée de son règne, car on peut dire que, pendant vingt-huit ans, sous trois Empereurs et Rois, — sous deux au moins, — il a régné.


III

Le troisième entendit régner sans tuteur, et, le samedi 20 mars 1890, vers le soir, à l’heure où la ville entrait dans le repos, des crieurs coururent par les rues de Berlin, vendant un supplément, une Extra-Ausgabe « les journaux, qui annonçait la démission du chancelier. Ce supplément contenait trois rescrits impériaux et un rescrit royal, par lesquels le prince de Bismarck était nommé due de Lauenbourg, général de cavalerie avec rang de feld-maréchal, relevé de ses fonctions de chancelier de l’Empire, de président du ministère d’État et de ministre des Affaires étrangères de Prusse, et remplacé par le général de Caprivi, commandant le Xe corps d’armée. Les passans, d’abord incrédules, achetaient ce supplément, le parcouraient à la lueur d’un réverbère, le repliaient, et s’en allaient d’un pas égal, sans dire mot. Il ne