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changer, n’emploie sa souveraineté, sa demi-souveraineté politique à alléger sa servitude, sa demi-servitude économique ? Comment, s’il en est ainsi, échapper toujours à une expérience, à un essai de socialisme d’État ? Mais, si l’on doit y passer tôt ou tard, pourquoi attendre l’heure de l’adversaire ? pourquoi ne pas choisir la sienne ? Pourquoi l’Etat ne dériverait-il pas le socialisme, avant que le socialisme se soit emparé de l’Etat ? Et tout de suite le chancelier prend son parti. Ainsi que, naguère, il a canalisé et légalisé la révolution politique dans le suffrage universel, il veut maintenant canaliser et légaliser dans la législation sociale la révolution sociale. Il n’hésite pas : il concédera tout le possible, afin de mieux résistera l’impossible, et tout le raisonnable, afin de mieux repousser le déraisonnable.

Indifférent, là comme ailleurs, aux doctrines et aux théories, il a pu constater l’impuissance des prétendus dogmes de la science orthodoxe, et rien ne le retient d’emprunter à l’enseignement des socialistes de la chaire, et jusqu’aux propositions nettement anti-économiques de Lassalle ou de ses disciples, ce qui lui paraît le meilleur. Le sens profond qu’il a de la réalité s’accorde en cela, d’abord avec le sens qu’il a de l’État chrétien : ne se vante-t-il pas, en préparant ce qu’il nomme sa trilogie sociale, les trois lois par lesquelles il fonde l’assurance nationale contre la vieillesse, contre la maladie, contre les accidens du travail, de faire « du christianisme pratique ? » — ensuite avec le sens qu’il a de l’État prussien : — le code civil prussien ne pose-t-il pas en principe qu’il est d’obligation publique de subvenir à l’entretien des citoyens incapables d’y pourvoir par eux-mêmes, de leur procurer de l’ouvrage, et de les sauver de la misère ? — enfin avec le sens qu’il a de l’Empire allemand : — ne s’est-il pas proposé d’arriver à ce qu’il n’y ait plus un sujet de l’Empereur, si humble et si abandonné soit-il, qui ne se sente soutenu et au besoin relevé, au dedans et au dehors, par la sollicitude et comme par la présence visible de l’Empire, bienveillant, tutélaire, paternel à tout Allemand de tout pays d’Allemagne ? — Cette dernière considération, surtout, le domine et le dirige : il faut attacher à l’Empire toutes les classes sociales, et en particulier la masse laborieuse qui, étant le nombre, est un des élémens de sa force : c’est pourquoi il faut faire delà protection de l’ouvrier un devoir d’Empire ; conception presque exclusivement politique, et de la politique la plus réaliste, à laquelle ne se mêle aucune