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alors la langue de ceux qui pensent ; ce n’est pas chez les trouvères et dans les fabliaux que l’on trouvera la pensée profonde du moyen âge ; c’est aux savans et aux philosophes, aux théologiens et aux hagiographes qu’il faut la demander ; mais, pour la suivre dans la subtilité de ses analyses et dans la complication de ce symbolisme à outrance où elle se complaît, il faut un effort d’esprit que rend encore plus pénible le caractère artificiel de la langue, de ce latin d’église qui ne se renouvelle plus à la source vive du parler populaire. Nous ne voyons pas comment de tels ouvrages, quelle qu’en soit la valeur pour l’érudit, pourraient être appelés à jouer un rôle dans l’éducation de nos élèves. C’est donc aux histoires et aux poèmes écrits en langue vulgaire que, tout récemment, par une innovation judicieuse, on a voulu faire une place discrète ; on a inscrit sur les programmes la Chanson de Roland, les noms de Villehardouin et de Joinville ; mais l’étudiant ne peut lire ces auteurs que dans des traductions ou, tout au plus, dans ces arrangemens qui rajeunissent la langue en ne lui laissant qu’une légère saveur archaïque. Il ne s’établit ainsi qu’un contact très imparfait entre l’œuvre et l’esprit du lecteur. A supposer même celui-ci capable de remonter aux textes originaux, la prose amorphe et coulante de nos vieux chroniqueurs ou la laisse monorime qui déroule négligemment ses assonances lui donneront-elles jamais des émotions qui aient la vivacité de celles que procure, à qui sait un peu de latin, une page de Tacite ou un chant de Virgile ? Auront-elles au même degré que telle forte et concise sentence de l’historien ou que tel vers lumineux et sonore du poète romain la vertu d’ébranler l’imagination ?

C’est par exception seulement et comme par éclairs que les œuvres écrites du moyen âge donnent l’impression de la vraie beauté. La conception y a souvent de la grandeur ; mais l’expression y reste presque toujours faible et traînante. Au contraire, une église romane et une église gothique ne sont pas moins belles, à leur manière, qu’un temple grec ; elles le sont autrement, et il est bien des âmes qu’elles touchent davantage. En tout cas, elles ne manifestent pas moins clairement la puissance de la foi religieuse qui les a construites et, par leur majesté, par la hauteur de leurs voûtes, par le demi-jour qui y règne, par les milliers de figures qui en peuplent et qui en animent toutes les surfaces, elles définissent, avec une singulière netteté, le caractère de cette foi. Là, comme en Grèce, le sculpteur s’est fait le docile et intelligent