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les murs, l’Arès où l’on croit retrouver la marque de Polyclète, l’Artémis chasseresse, la Victoire de Samothrace, la divine Aphrodite de Mélos, et voici ce qu’elles leur auraient dit : « Jeune homme qui étudies la Grèce dans Homère et dans Platon, dans Sophocle et dans Hérodote, ne passe pas si vite ; nous aussi, nous sommes cette Grèce que tu entrevois et que tu cherches dans leurs écrits, dont tu déchiffres, non sans peine, la prose et les vers. Pour nous comprendre et pour nous aimer, pour lire dans nos traits la pensée dont nous sommes l’expression, pour saisir dans le modelé de nos chairs et dans le pur contour de nos membres le secret du génie qui nous créa, tu n’as pas besoin de grammaire m de dictionnaire ; applique-toi seulement à faire l’éducation de tes yeux. Dans cet exercice même et cet apprentissage, tu trouveras un plaisir qui sera de plus en plus vif à mesure que tu te sentiras plus capable de percevoir rapidement les nuances les plus fines. Ne crains pas d’ailleurs, si tu aspires à être plus tard un interprète autorisé du génie grec, que ce soit là du temps perdu. Le jour où, par un long et affectueux commerce, tu seras assez entré dans notre intimité pour pouvoir, à toute heure, évoquer dans ton esprit, aussi nette que si nous étions là debout devant toi, la vision de ces formes qui te seront devenues chères, les images qui s’éveilleront en ta mémoire, quand tu liras les poètes, seront, à peu de chose près, celles que les mêmes récits et les mêmes épithètes auraient aussitôt suggérées aux Grecs qui nous ont vus naître. Ceux-ci, tu t’en rapprocheras par le seul effet de ces impressions toutes pareilles ; tu seras plus voisin d’eux, plus près de penser et de sentir à leur façon, au moins par momens, que le grammairien le plus subtil, que l’helléniste le plus savant qui ne nous aurait jamais regardées. »

Dans la galerie voisine, où règnent et trônent les empereurs romains, les statues et les bustes ne tiendraient pas un langage moins clair. Est-il une leçon, fût-elle du professeur le plus savant, qui puisse, comme le font ces effigies, ressusciter devant nous toute la vie de la Rome des Césars ? Dans cette longue suite de portraits, qui résume trois siècles d’histoire, les différences des temps et celles des hommes se révèlent, dès l’abord, plus vives et plus tranchées que dans les récits des auteurs anciens et dans les dissertations des érudits modernes. Auguste ou Tibère et Constantin ou Théodose portaient le même titre d’imperator ; ils étaient, les uns et les autres, appelés consuls, Césars, Augustes,