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même de l’éclat extérieur qui s’attache d’ordinaire à son rang. Le cardinal de Richelieu ne lui a laissé que « le nom et la figure de roi, » et « pour un temps ; il veut… après s’être défait de vous et de moi, finalement demeurer le maître. » Monsieur montre le nouveau « Maire du palais » régnant en fait sur la France opprimée et accablée, qu’il suce et ruine sans pitié ni vergogne : « Il a consommé en son particulier plus de deux cents millions depuis qu’il gouverne vos affaires, et il dépense par jour dix fois plus en sa maison que vous ne faites en la vôtre… Je vous dirai ce que j’ai vu. C’est qu’il n’y a pas un tiers de vos sujets dans la campagne qui mange du pain d’ordinaire, l’autre tiers ne vit que de pain d’avoine, et l’autre tiers n’est pas seulement réduit à mendicité, mais languit dans une nécessité si lamentable, qu’une partie meurt effectivement de faim, l’autre ne se substante que de gland, d’herbes, et choses semblables, comme les bêtes. Et les moins à plaindre de ceux-ci ne mangent que du son et du sang, qu’ils ramassent dans les ruisseaux des boucheries. J’ai vu ces misères de mes yeux en divers endroits depuis mon partement de Paris… » Il disait la vérité. Le paysan en était là. Mais ce n’était pas en provoquant la guerre civile qu’on pouvait diminuer ses souffrances ; et Richelieu n’a pas manqué de le faire ressortir dans la partie polémique du Recueil, écrite sous sa direction, quand ce n’était pas de sa main.

Il s’y défend avec bec et ongles, lui, sa politique, ses millions, ses cumuls de places. Telle lettre de Monsieur a été annotée par le cardinal, d’un bout à l’autre, et copieusement. De longs factums à la gloire du premier ministre ont été inspirés par lui-même, sans fausse honte. On y rencontre des passages bien inhumains, lorsqu’il est dit, par exemple, pour justifier le roi des mauvais traitemens infligés à sa mère, « que la peine des neuf mois qu’elle l’a porté lui eût été bien chèrement vendue, s’il eût fallu qu’en cette considération il laissât mettre le feu dans son royaume[1]. » D’autres endroits sont bien hautains. On blâme les richesses du premier ministre ? Et quand le roi lui en aurait donné plus, le roi est libre : « N’est-ce pas chose qu’il peut, sans qu’on l’en puisse blâmer[2] ? » D’autres encore sont cyniques

  1. Recueil, etc., Avertissement aux provinces sur les nouveaux mouvemens du royaume, par le sieur de Cléonville (1631).
  2. Ibid., La défense du roi et de ses ministres, contre le manifeste que sous le nom de Monsieur on fait courre parmi le peuple, par le sieur des Montagnes.