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qu’il était écrit dans le ciel, de toute éternité, qu’elle épouserait un grand prince. Sa vie se consuma en vains efforts pour accomplir l’oracle, et ses mariages manques feront toute son histoire.


VI

Le début de ses Mémoires nous montre la cour de Louis XIII et les affaires du temps vues par une petite fille. C’est un aspect auquel les historiens ne nous avaient pas accoutumés. Il rétrécit naturellement les horizons. La petite princesse ne savait même pas qu’il se passait quelque chose en Allemagne. Elle ne pouvait pas ignorer la lutte de Richelieu contre les grands, qui causait autour d’elle tant de changemens de visages, mais elle la rapetissait dans son esprit aux proportions d’une querelle entre son père et le cardinal. Ses jugemens sur les hauts personnages qu’elle fréquente lui sont dictés par des raisons purement sentimentales. Les uns y gagnent, les autres y perdent.

Louis XIII est l’un des gagnans. Il était bon oncle, très affectueux avec sa nièce, à laquelle il savait un gré infini de n’être qu’une fille, après la peur qu’il avait eue de se voir naître un héritier chez son frère. Il se faisait amener Mademoiselle au Louvre par la galerie du bord de l’eau, et se laissait égayer par sa turbulence et par ses indiscrétions d’enfant gâté. Anne d’Autriche lui témoignait une vive tendresse ; mais les enfans ne s’y trompent guère : « Je pense, dit Mademoiselle, que les amitiés qu’elle me faisait n’étaient que des effets de celle qu’elle avait pour Monsieur. » Un peu plus loin, elle déclare formellement que la reine, se croyant destinée à un prochain veuvage, avait formé le « dessein… d’épouser Monsieur. » Quoi qu’il en fût de ce projet, il est certain que la reine caressait la fille pour l’amour du père. Anne d’Autriche ne pardonna jamais à Mademoiselle l’hiver de 1626-1627. Elle lui en voulut toujours de son propre effacement pendant les mois de grossesse où la duchesse d’Orléans promettait orgueilleusement un dauphin à la France.

Monsieur, avec sa grâce et son inconscience de chat, avait tout à gagner à être vu par des yeux d’enfant. C’était un charmant camarade de jeu, gai, complaisant, et aimant sa fille, du moins pour l’instant ; on ne pouvait jamais répondre du lendemain avec lui. Le cardinal de Richelieu avait tout à perdre ; il fut pour la petite princesse des Tuileries le Croquemitaine de la cour. Quand on