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Mlle de Chantal avait été admirablement dirigée par son oncle, l’abbé de Coulanges ; je ne crois pas que l’on trouve jamais mieux pour former une femme distinguée, en dehors des préoccupations de carrière qui dominent de nos jours l’éducation des filles. Ménage et Chapelain lui avaient fait faire sa rhétorique ; elle lut et relut toute sa vie Tacite et Virgile dans l’original. Elle savait l’italien et l’espagnol, possédait sur le bout du doigt les historiens anciens et modernes, les moralistes, les écrivains religieux, et ce fond sérieux et solide, qu’elle entretint et renouvela jusqu’à son dernier jour, ne l’empêchait pas d’adorer les vers, le théâtre, les romans, l’esprit sous toutes ses formes. Elle avait bon air en dansant et chantait bien, « d’une manière passionnée, » disent les contemporains. L’abbé de Coulanges l’avait aussi dressée à avoir de l’ordre et à payer ses dettes, contrairement aux usages reçus. C’était une femme complète ; elle faisait même quelques fautes d’orthographe, juste ce qu’il en fallait pour avoir le droit d’être un écrivain de génie sans déroger au bel air et à la naissance.

D’autres encore, à la cour ou à la ville, donnaient raison à la thèse de Mlle de Scudéry. Un plus grand nombre lui donnaient tort par leur ressemblance avec sa Damophile, à commencer par la bonne Gournay, la « fille d’alliance » de Montaigne, qui prononçait doctoralement, du haut de son grec et de son latin, sur les sujets les plus scabreux, les plus déplaisans dans une bouche féminine, sous prétexte qu’il s’agissait de l’antiquité, et que tout en est vénérable. Un autre bas-bleu, la vicomtesse d’Auchy, avait fondé chez elle des conférences où le beau monde s’étouffait pour entendre prouver « la Trinité par raison naturelle, » ou les idées innées par raison démonstrative, en interrogeant des petits enfans sur la philosophie et la théologie. La dame du logis avait imprimé sous son nom et avec son portrait des homélies sur les épîtres de saint Paul, qu’elle avait achetées en manuscrit à un docteur en théologie et qui firent la fortune du libraire : « La nouveauté de voir une dame de la cour commenter le plus obscur des apôtres faisait que tout le monde achetait ce livre[1]. » L’archevêque de Paris finit par lui intimer l’ordre de « laisser la théologie à la Sorbonne. »

Mlle Des Jardins déclamait ses vers dans les salons avec de

  1. Tallemant.