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à entendre ce que de plus savans qu’elles disent, et à en parler même à propos, sans en parler pourtant comme les livres en parlent, mais seulement comme si le simple sens naturel leur faisait comprendre les choses dont il s’agit. Joint qu’il y a mille agréables connaissances dont il n’est pas nécessaire de faire un si grand secret. En effet, on peut savoir quelques langues étrangères, on peut avouer qu’on a lu Homère, Hésiode et les excellens ouvrages de l’illustre Aristée[1], sans faire trop la savante ; on peut même en dire son avis d’une manière si modeste et si peu affirmative que, sans choquer la bienséance de son sexe, on ne laisse pas de faire voir qu’on a de l’esprit, de la connaissance et du jugement. »

Elle avait sous les yeux la femme qu’elle aurait voulu donner en modèle à toutes les autres, celle qui savait le latin, qui faisait ses délices de saint Augustin, et que personne n’aurait jamais eu l’idée d’appeler une « savante. » Mlle de Scudéry était infiniment reconnaissante à la charmante Sévigné de plaider d’exemple en faveur de ses idées. Elle l’a peinte avec une complaisance visible sous le nom de Clarinte[2] : « Sa conversation est aisée, divertissante et naturelle ; elle parle juste, elle parle bien, elle a même quelquefois certaines expressions naïves et spirituelles qui plaisent infiniment… Clarinte aime fort à lire, et ce qu’il y a de mieux c’est que, sans faire le bel-esprit, elle entend admirablement toutes les belles choses. Elle a même appris la langue africaine avec une facilité merveilleuse… Elle a tant de jugement, qu’elle a trouvé le moyen, sans être ni sévère, ni sauvage, ni solitaire, de conserver la plus belle réputation du monde… Ce qu’il y a encore de merveilleux en cette personne, c’est qu’en l’âge où elle est, elle songe aux affaires de sa maison aussi prudemment que si elle avait toute l’expérience que le temps peut donner à un esprit fort éclairé ; et ce que j’admire encore plus, c’est que, quand il le faut, elle se passe du monde et de la cour et se divertit à la campagne avec autant de tranquillité que si elle était née dans les bois… J’oubliais à vous dire qu’elle écrit comme elle parle, c’est-à-dire le plus agréablement et le plus galamment qu’il est possible. »

On ne découvrira pas de programme d’études qui fabrique des Sévigné. Il faut à toute force que la nature y ait mis du sien ; le rôle de l’éducation se borne à la faire rentrer dans ses avances.

  1. Chapelain.
  2. Dans le roman de Clélie.