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dix ou douze à apprendre continuellement ce qu’elle ne doit faire que cinq ou six ; et à cette même personne qui est obligée d’avoir du jugement jusques à sa mort et de parler jusqu’à son dernier soupir, on ne lui apprend rien du tout qui puisse ni la faire parler plus agréablement, ni la faire agir avec plus de conduite ; et vu la manière dont il y a des dames qui passent leur vie, on dirait qu’on leur a défendu d’avoir de la raison et du bon sens, et qu’elles ne sont au monde que pour dormir, pour être grasses, pour être belles, pour ne rien faire, et pour ne dire que des sottises… J’en sais une qui dort plus de douze heures tous les jours, qui en emploie trois ou quatre à s’habiller, ou pour mieux dire à ne s’habiller point, car plus de la moitié de ce temps-là se passe à ne rien faire ou à défaire ce qui avait déjà été fait. Ensuite elle en emploie encore bien deux ou trois à faire divers repas, et tout le reste à recevoir des gens à qui elle ne sait que dire, ou à aller chez d’autres qui ne savent de quoi l’entretenir. »

Mlle de Scudéry n’approuvait pas non plus qu’une femme tournât au pot-au-feu et ne fût que la première servante de son mari. Toutefois, lorsqu’on la pressait de tracer un programme d’éducation et de « dire précisément ce qu’une femme doit savoir, » le problème était encore si neuf qu’elle-même se trouvait embarrassée pour répondre. Elle se dérobait et se rejetait dans les généralités : « Il serait sans doute assez difficile, répondait-elle à un interlocuteur imaginaire, de donner une règle générale, car il y a une si grande diversité dans les esprits qu’il ne peut y avoir de loi universelle qui ne soit injuste. Mais ce que je pose pour fondement est qu’encore que je voulusse que les femmes sussent plus de choses qu’elles n’en savent pour l’ordinaire, je ne veux pourtant jamais qu’elles agissent ni qu’elles parlent en savantes. Je veux donc bien qu’on puisse dire d’une personne de mon sexe qu’elle sait cent choses dont elle ne se vante pas, qu’elle a l’esprit fort éclairé, qu’elle connaît finement les beaux ouvrages, qu’elle parle bien, qu’elle écrit juste, et qu’elle sait le monde ; mais je ne veux pas qu’on puisse dire d’elle : c’est une savante… Ce n’est point que celle qu’on n’appellera point savante ne puisse savoir autant et plus de choses que celle à qui on donnera ce terrible nom, mais c’est qu’elle se sait mieux servir de son esprit, et qu’elle sait cacher adroitement ce que l’autre montre mal à propos. » Et quelqu’un demandant à Sapho de quoi sert aux femmes une science qu’elles n’oseraient montrer : « Elle leur sert, répliqua-t-elle