Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/270

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

filles. Ils n’admettaient pas qu’il y eût une distinction entre une personne cultivée et une « savante, » le mot d’alors pour bas-bleu. On est obligé d’avouer qu’ils n’avaient pas toujours tort. Pour une raison qui m’échappe, le savoir a eu de la peine, chez la femme, à faire bon ménage avec le naturel et la simplicité. Il a fallu s’y mettre. Aujourd’hui encore, il n’est pas mauvais de se surveiller un peu. Dans le temps qui nous occupe, les « fausses précieuses » avaient fait un tort considérable, par leurs prétentions et leurs grimaces, à la cause de l’instruction des filles. Celles qui s’intitulaient les vraies précieuses, et qui travaillaient, sous l’impulsion de l’hôtel de Rambouillet, à épurer le langage et les mœurs, n’ignoraient pas combien les autres les compromettaient. Mlle de Scudéry, qui savait « presque tout ce qu’on pouvait savoir » et se piquait de n’en être pas moins modeste, ne pouvait prendre son parti d’être confondue par le public avec les Trissotin femelles dont elle sentait si vivement les ridicules. Elle s’est défendue de leur ressembler dans plusieurs passages du Grand Cyrus où sont discutées avec infiniment de bon sens les questions que l’on nomme aujourd’hui féministes.

Damophile affecte d’imiter Sapho, et n’est que sa caricature. Sapho « ne fait point la savante, » sa conversation est « naturelle, galante et commode. » Damophile « avait toujours cinq ou six maîtres, dont le moins savant lui enseignait, je crois, l’astrologie ; elle écrivait continuellement à des hommes qui faisaient profession de science ; elle ne pouvait se résoudre à parler à des gens qui ne sussent rien. On voyait toujours sur sa table quinze ou vingt livres, dont elle tenait toujours quelqu’un quand on arrivait dans sa chambre et qu’elle y était seule, et je suis assuré qu’on pouvait dire sans mensonge qu’on voyait plus de livres dans son cabinet qu’elle n’en avait lu, et qu’on en voyait moins chez Sapho qu’elle n’en lisait. De plus, Damophile ne disait que de grands mots, qu’elle prononçait d’un ton grave et impérieux, quoiqu’elle ne dît que de petites choses ; et Sapho, au contraire, ne se servait que de paroles ordinaires pour en dire d’admirables. Au reste, Damophile, ne croyant pas que le savoir pût compatir avec les affaires de sa famille, ne se mêlait d’aucuns soins domestiques : mais pour Sapho, elle se donnait la peine de s’informer de tout ce qui était nécessaire pour savoir commander à propos jusques aux moindres choses. Damophile non seulement parle en style de livre, mais elle parle même toujours de livres, et ne