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Pontis voulait pourtant qu’on mît grande différence entre l’enfant destiné à la robe et celui qui est voué à la profession des armes. « Le premier ne doit jamais discontinuer ses études ; et il suffit que l’autre étudie jusqu’à quinze ou seize ans… Après cela on le doit mettre à l’Académie… »

Pontis ne faisait que suivre le courant. Au moment où naquit la Grande Mademoiselle, l’homme de qualité n’avait plus le droit d’être ce qu’on appelait « un brutal. » Des mœurs nouvelles exigeaient qu’il eût du goût, à défaut de science, et qu’il se fût formé dans « l’entretien d’un homme de lettres » à juger des « ouvrages de l’esprit. » Le maréchal de Montmorency[1], fils du connétable qui savait à peine signer, « avait toujours des gens d’esprit à ses gages, qui faisaient des vers pour lui, qui l’entretenaient d’un million de choses, et lui disaient quel jugement il fallait faire des choses qui couraient en ce temps-là[2]. » Il était de bon ton dans les grandes maisons de s’attacher au moins un « autheur ; » en l’absence de journaux et de revues, il remplaçait nos chroniques littéraires et nos articles de critique, il parlait le feuilleton dramatique ou le compte rendu du dernier roman.

On fut très longtemps à faire un pas de plus et à permettre au noble d’être son propre « autheur » et de composer lui-même ses « ouvrages de l’esprit. » Celui qui succombait à la démangeaison d’écrire devait à sa naissance de s’en cacher ou de s’en excuser. Mlle de Scudéry fait dire à Sapho, c’est-à-dire à elle-même, dans le Grand Cyrus[3] : « Il n’y a rien de plus incommode que d’être bel esprit, ou d’être traité comme l’étant, quand on a le cœur noble et quelque naissance. Car enfin, je pose pour indubitable que, dès qu’on se tire de la multitude par les lumières de son esprit et qu’on acquiert la réputation d’en avoir plus qu’un autre, et d’écrire assez bien en vers ou en prose pour pouvoir faire des livres, on perd la moitié de sa noblesse, si on en a, et l’on n’est point ce qu’est un autre de la même maison et du même sang, qui ne se mêlera point d’écrire… On vous traite tout autrement… « Vers la même époque, Tallemant des Réaux écrivait de M. de Montausier, l’époux de la belle Julie d’Angennes et l’un des satellites de l’hôtel de Rambouillet : — « Il fait trop le métier de bel esprit pour un homme de qualité, ou du moins il le fait trop sérieusement… Il a fait des traductions… » La nuance est marquée

  1. Décapité en 1632, à trente-sept ans.
  2. Tallemant.
  3. Le 1er vol. du Grand Cyrus parut en 1649, le dernier en 1653.