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prenaient une autre physionomie qu’à notre époque, où les générations arrivent à l’action déjà vieillies et déjà fatiguées. Il n’est pas indifférent pour un peuple que sa jeunesse entre dans les carrières à un âge ou à un autre. On n’a plus la même façon de penser et de sentir à trente ans qu’on avait à vingt. On fait la guerre autrement, la politique encore plus ; on a d’autres ambitions et d’autres aventures. Les momens de l’histoire où la partie agissante de la nation contient une forte proportion de très jeunes gens en reçoivent une coloration particulière ; la vie publique a un je ne sais quoi de plus fringant et de plus hardi. Il y eut sous Louis XIII des existences à faire mourir d’envie nos malheureux écoliers, — qui deviennent parfois chauves avant de parvenir à quitter les bancs.

Jean de Gassion, maréchal de France à trente-quatre ans et tué à trente-huit 1647), était le quatrième garçon, et non le dernier, d’un président au Parlement de Navarre, qui l’avait « élevé aux lettres » avec soin. L’enfant « profita tellement aux humanités et en la philosophie, qu’il s’y trouva consommé avant l’âge de seize ans[1]. » Il savait aussi plusieurs langues vivantes, « l’allemande, la flamande, l’italienne et l’espagnole. » Ainsi préparé, il partit de Pau sur le vieux bidet de son père, les poches vides et le cœur en liesse, résolu à « faire fortune » et ne doutant pas d’y réussir. Le vieux bidet ne put aller plus loin que quatre ou cinq lieues. Jean de Gassion continua sa route à pied, gagna la Savoie, où l’on guerroyait, s’y engagea comme simple soldat, et se battit si bien qu’il fut nommé cornette. La paix l’ayant ramené en France, il résolut d’offrir son épée au roi de Suède, Gustave-Adolphe, qu’on disait quelque part en Allemagne à combattre les Impériaux, et de lui conduire ses troupes, à lui Jean de Gassion, car il n’entendait pas se présenter seul, en pauvre hère, devant le monarque. Il entraîna quinze ou vingt cavaliers de son régiment, s’embarqua avec eux pour la Baltique et aborda par hasard, — ceci est de l’histoire, — sur un rivage où Gustave-Adolphe était justement à se promener ; ces choses-là n’arrivent plus passé vingt ans. Jean le salua, et lui exposa en latin son grand désir de le servir. Le roi, amusé, consentit à mettre ce docte gamin à l’essai, et c’est ainsi que Gassion devint colonel à vingt-deux ans. Sans le latin, il aurait peut-être manqué sa carrière ; sa

  1. Vie et mort du maréchal de Gassion, par Théophraste Renaudot (Cimber et Danjou).