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revenus à un million de livres. Sa vanité ne s’était pas laissé oublier au contrat, mais on la pardonne à ses dix-huit ans : « Monsieur eut quatre-vingts gardes françaises portant casaques et bandoulières de velours de ses livrées, leurs casaques chargées devant et derrière de ses chiffres en broderie rehaussée d’or… Il eut aussi vingt-quatre suisses qui marchaient devant lui les dimanches et autres jours de fêtes, tambour battant, encore que le roi fût à Paris[1]. »

La vie des amis de Monsieur ne pesa pas une plume contre plusieurs provinces et un « tambour battant. » Le maréchal d’Ornano, son gouverneur, était en prison à Vincennes. Le comte de Chalais avait été arrêté à Nantes, où se trouvait la cour, et l’on instruisait rapidement son procès. Gaston d’Orléans ne s’en maria pas d’un visage moins souriant, le 5 août 1626. Son consentement obtenu, on avait brusqué la cérémonie. Celle-ci s’en ressentit et se fît n’importe comment. Il n’y eut pas de musique. L’habit du marié n’était pas neuf. Deux duchesses se prirent de querelle pendant le défilé du cortège pour une question de préséance, « des paroles, elles en vinrent aux poussades et aux égratignures, » et il y eut un mouvement de scandale dans le public. La splendeur des fêtes qui suivirent les noces fit oublier ces contrariétés. Monsieur y montra une gaieté qui fut remarquée avec étonnement : on savait qu’il avait demandé inutilement la grâce de celui qui allait « mourir son martyr[2]. » Il jugea cependant à propos de s’absenter le 19. Ce jour-là, le jeune Chalais, pour s’être employé à le servir, fut décapité à Nantes par un bourreau d’occasion, qui lui hacha la nuque avec une mauvaise épée et un outil de tonnelier. Au vingtième coup, le malheureux gémissait encore ; il en fallut trente-quatre pour l’achever ; la foule poussait des cris d’horreur. Quinze jours plus tard, le maréchal d’Ornano mourait fort à propos dans sa prison. D’autres conjurés s’étaient enfuis ou avaient été exilés.

On eût dit que rien de tout cela ne regardait le duc d’Orléans. Il pensait uniquement à s’amuser. La morale du temps, si souvent et si extraordinairement tolérante, pour ne pas dire plus, ne barguignait pourtant pas sur la fidélité personnelle entre maître et serviteur. Elle exigeait que le soldat fût absolument dévoué à

  1. Mémoires de Gaston, duc d’Orléans. Ces mémoires ne sont pas de lui. On ne sait pas avec certitude le nom de leur auteur.
  2. Mémoires d’un favori du duc d’Orléans. Cimber et Danjou, 8e série, vol. III.