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mort, sans daigner s’apercevoir qu’il était démodé, qu’on en souriait, et qu’elle-même lui avait donné un démenti dans une occasion célèbre : son roman avec Lauzun avait été bien bourgeois pour une Olympienne. Elle n’en conserva pas moins ses anciennes allures et devint la vivante évocation du passé pour les survivantes du monde où elle avait grandi. Ils retrouvaient chez cette vieille princesse, devenue légèrement ridicule, l’empreinte des idées et des sentimens dont s’était composée l’âme de la France sous Richelieu et Mazarin. Les mêmes influences qui avaient fait de la Grande Mademoiselle une romantique avant la lettre avaient agi sur la société française tout entière. L’histoire de l’une est l’histoire de l’autre, et c’est ce qui rend digne de beaucoup d’attention une figure qui n’a jamais été au premier rang. Mademoiselle éclaire son milieu.


I

Anne-Marie-Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier, était fille de Gaston de France, duc d’Orléans, frère puîné du roi Louis XIII, et d’une cousine éloignée de la famille royale, Marie de Bourbon, duchesse de Montpensier. Il est impossible de différer plus complètement de ses parens que ne le fit la Grande Mademoiselle, ainsi surnommée à cause de sa haute taille. Sa mère était une belle personne blonde, avec une physionomie de mouton et une humeur assortie, très douce et très sage. Son père ressemblait à nos décadens. C’était un homme qui avait les nerfs malades, la volonté abolie, et qui rêvait d’accomplir des actions rares et singulières. Il se berçait de l’idée d’être un de ces princes du sang de jadis qui dressaient autel contre autel et obligeaient le roi à compter avec eux. Ses efforts répétés pour se hausser à un rôle sous lequel il était immédiatement écrasé sont en même temps burlesques et tragiques. Il a été en chair cl en os, au XVIIe siècle, le prince que les écrivains d’aujourd’hui ont cru inventer et qu’ils se plaisent à porter à la scène ou à mettre dans leurs romans, l’anachronisme vivant qui n hérité des traditions de ses rudes aïeux et qui ne peut mettre à leur service qu’un caractère énervé et déséquilibré.

Sa première infamie, l’une des plus grandes, avait servi de prologue à la naissance de la Grande Mademoiselle. En 1626, Louis XIII n’avait pas encore d’enfant. Son frère Gaston se