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qui la menace ? Elle n’a pas besoin pour se défendre de réunir en faisceau toutes ses forces, même les plus indisciplinables, même celles qui confinent à la révolution et à l’anarchie. Gambetta, après la victoire définitive du 16 mai, a prononcé un mot qui dénotait chez lui, avec une pénétrante intelligence politique, une claire vision de l’avenir. « L’ère des périls, a-t-il dit, est finie ; nous entrons dans l’ère des difficultés. » Il aurait sans doute été bien surpris et quelque peu indigné si on lui avait prédit qu’après vingt ans de République incontestée, des hommes politiques, formés pourtant à son école, déclareraient que l’ère des périls était rouverte, uniquement parce qu’ils se sentiraient embarrassés pour résoudre quelques difficultés. On donne le change à l’opinion en lui parlant de dangers qui n’existent pas : et, s’ils existaient réellement, ce serait une raison de plus pour mettre avant tout un peu d’ordre dans la République, en lui rendant l’apparence d’un gouvernement régulier, au lieu de lui prêter celle d’une coalition épouvantée, organisée pour la défensive, appelant à son secours même les barbares, sans songer qu’il est quelquefois très difficile ensuite de se débarrasser d’eux. Mais, encore un coup, nous ne croyons ni à l’existence du péril qu’on dénonce, ni à la sincérité des alarmes qu’on manifeste, et ce qui nous choque le plus dans ce ministère, c’est qu’il est parfaitement inutile, que nous n’avions pas besoin de lui, qu’il n’est pas le résultat des circonstances, qu’il n’est ni expliqué, ni justifié par la situation, enfin qu’il est le simple produit d’une fantaisie jouant avec le paradoxe, sans ménager assez le sens critique, ni même le sens moral du pays.

Il semble pourtant qu’il ait produit une assez bonne impression au dehors, ce dont nous ne pouvons être que fort aises. C’est qu’au dehors, on connaît peu M. Millerand, tandis qu’on y connaît beaucoup le général de Galliffet et qu’on y a souvent entendu parler de M. Waldeck-Rousseau. Celui-ci reste encore pour l’Europe, malgré l’alliance bizarre qu’il vient de conclure, un homme d’autorité et de gouvernement. On lui croit la main ferme, la décision rapide, la volonté énergique. Quant au général de Galliffet, son nom seul inspire confiance. On sait bien que, s’il a accepté d’être ministre de la Guerre, c’est pour servir l’armée et la protéger, soit contre les entreprises ou les exigences du dehors, soit contre ses propres entraînemens, si elle était tentée d’y céder, ce qu’elle n’a pas fait jusqu’ici. Nous sommes les premiers à reconnaître que ce sont là des garanties sérieuses et précieuses, peut-être même les plus précieuses de toutes. Ce que nous avons plus de peine à comprendre, c’est comment des, hommes aussi divers que