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héritiers s’acharner presque exclusivement sur lui. Il ne lui déplaisait pas de servir de paratonnerre à ses camarades, et la réputation de terreur dont on l’entourait n’avait à ses yeux d’autre conséquence que de le désigner parmi tous comme le soldat de l’ordre et de la loi. Ceux qui se réclament de la Révolution française, même dans ses momens les plus implacables, devraient se rappeler comment les hommes qu’ils admirent imposaient l’obéissance à Lyon ou à Toulon insurgés. Mais laissons le passé à l’histoire. Le général de Galliffet est-il, oui ou non, un de nos officiers les plus distingués, les plus intelligens, les plus instruits, les plus propres à occuper utilement pour l’armée, surtout dans les circonstances actuelles, le ministère qui lui a été confié ? Nul ne le conteste. Dès lors, M. Waldeck-Rousseau a eu raison de l’y nommer ; et nous dirions qu’il a fait là un acte de courage civique, s’il n’avait pas cru devoir en donner immédiatement la rançon aux radicaux et aux socialistes en nommant M. Millerand ministre du Commerce. M. Poincaré, pour faire accepter M. Barthou, acceptait lui-même M. Bourgeois ou M. Brisson : M. Waldeck-Rousseau, pour faire accepter le général de Galliffet, ce qui était encore plus difficile, a accepté M. Millerand. Eh bien ! c’est trop cher, et, s’il ne se sentait pas la force d’imposer le général de Galliffet au nom des services qu’il a déjà rendus au pays et qu’il peut lui rendre encore, M. Waldeck-Rousseau aurait mieux fait de résilier son mandat.

Il est très vrai, comme il l’a dit, que le général de Galliffet, par l’ascendant qu’il a déjà sur son esprit, peut, avec le minimum d’effort, obtenir de l’armée tout ce qu’il importe en ce moment d’obtenir d’elle, — et nous sommes convaincus d’ailleurs qu’elle est prête à le donner, pourvu qu’on la protège contre d’indignes outrages. — Mais, si le général de Galliffet peut faire beaucoup de bien, M. Millerand, rien que par sa nomination, fait un mal irrémédiable, en donnant en quelque sorte aux socialistes droit de cité dans le gouvernement. On ne formera plus désormais un ministère tant soit peu avancé sans se croire obligé d’y comprendre un ou plusieurs socialistes, et c’est un pas de géant qui a été fait en quelques minutes dans un sens où il n’y a, selon nous, que dommage pour la République et ruine pour le pays. M. Bourgeois lui-même, lorsqu’il a formé son funeste cabinet, n’était pas allé si loin. Il ne s’était pas contenté de ne pas y introduire de socialistes ; il avait dit, quelques Jours auparavant, que les socialistes ne devaient pas entrer en ligne de compte dans une majorité gouvernementale. Qui aurait cru que M. Waldeck-Rousseau ferait ce que M. Bourgeois n’avait pas voulu faire, et que, la porte que celui-ci n’avait pas voulu