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épris, au contraire, d’un chaud intérêt pour la diplomatie, bien qu’à dire la vérité, elle ait été souvent, elle aussi, fertile pour nous en déceptions. Quoi qu’il en soit, M. Bourgeois, depuis quelque temps, a l’air de se trouver d’autant plus à son aise qu’il est plus éloigné du Palais-Bourbon. Il est allé faire un premier voyage à Constantinople et le long du Danube ; on l’a reçu partout comme un Français distingué, qui a joué un rôle important dans son pays, et qui peut être appelé par la suite à y en jouer un plus considérable encore. Ce début l’a charmé, et, lorsque la Conférence de la Haye a été sur le point de se former, il a accepté avec empressement d’y représenter la France, si même il n’a pas demandé à y être envoyé. Pourquoi ne lui aurait-on pas donné cette satisfaction ? Il a l’esprit fin, souple, délié, la pratique des assemblées, enfin une véritable ingéniosité à trouver des solutions moyennes et des formules conciliantes et lénifiantes, toutes qualités qui pouvaient trouver leur emploi dans une réunion diplomatique. Mais, quand les radicaux ont appris qu’il les quittait une fois de plus, ils en ont montré un redoublement de mauvaise humeur. Le ministère Dupuy, ayant duré quelques mois déjà, paraissait quelque peu usé, et on n’avait pas besoin d’être prophète pour prévoir que sa chute était prochaine : était-ce le moment pour un chef de parti de passer la frontière et d’aller s’enfouir dans les labeurs poudreux d’une conférence ? Au moment où sa présence pouvait leur devenir le plus utile, M. Bourgeois glissait sans bruit entre leurs doigts. On s’est demandé où il était, il avait déjà disparu. La crise a éclaté, comme il fallait s’y attendre : alors, ce ne sont pas seulement les amis de M. Bourgeois qui ont protesté contre sa disparition, mais aussi les autres. Ils ont trouvé que cela n’était pas de jeu, et qu’après tout, lorsque tout le monde s’épuisait dans des efforts plus ou moins infructueux, un homme politique aussi en vue que M. Bourgeois devait prendre sa part de l’usure commune. On lui a envoyé d’abord des télégrammes pour lui proposer des portefeuilles, et nous avons dit avec quel admirable détachement il avait répondu. On a insisté, mais en vain. Il a été, nous ne dirons pas inflexible, — le mot ne contiendrait pas à son allure, — mais doucement obstiné à se trouver bien où il était. De tous les actes de la comédie gouvernementale qu’on vient de nous donner, celui ou ceux qui ont été consacrés à M. Bourgeois ont été de beaucoup les plus piquans. Non pas qu’ils aient fait grand bruit, ni que les incidens s’y soient produits avec éclat ; tout, au contraire, a été mis en demi-teinte, s’est passé en chuchotemens que personne n’a entendus, a été empreint d’une réserve quasi ecclésiastique, et