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pièces et de morceaux, qui se condamnaient à l’impuissance, mais où, les plus violens l’emportant toujours sur les plus modérés, les partis révolutionnaires trouvaient en fin de compte des instrumens plus ou moins dociles. Sa parole nette, précise et mordante, inventait pour dire tout cela des formules brèves et condensées qui avaient le poids spécifique et le relief d’une médaille. L’esprit était pleinement satisfait en l’entendant, et, si les cœurs n’étaient pas également échauffés, c’est que, par sa nature même et par sa facture, l’éloquence de M. Waldeck-Rousseau s’adresse à la seule raison ; mais elle en devient vraiment maîtresse, et peu d’orateurs, à notre époque, ont exercé sur elle une prise plus forte. Sa pensée était presque intransigeante ; la forme en était impérieuse. Grâce à ces rares qualités, et malgré l’éloignement dédaigneux qu’il a toujours professé pour le profane vulgaire, M. Waldeck-Rousseau était devenu l’espoir des progressistes et des libéraux. On ne savait pas s’il occuperait de sitôt le pouvoir, mais tout le monde était certain que, s’il l’occupait jamais, ce serait pour pratiquer une politique que ses ennemis qualifiaient déjà de réactionnaire, et que ses amis annonçaient devoir être un peu autoritaire sans doute, mais ferme, résolue et réparatrice. Aussi n’a-t-on pas été peu étonné d’apprendre que l’accord n’avait pas pu s’établir entre lui et les membres modérés de l’ancien ministère qu’il avait d’abord exprimé le désir de garder dans le sien. La combinaison de M. Poincaré échouant par la faute des radicaux, celle de M. Waldeck-Rousseau échouant par la faute des progressistes, qui l’aurait cru ? On ne le croit pas encore. Ce n’est donc pas pour le motif qu’on en a donné que la première combinaison de M. Waldeck-Rousseau n’a pas réussi, mais bien parce qu’il rêvait déjà la seconde et qu’il l’avait arrêtée dans son esprit. Toutefois, avant de la produire, il a jugé à propos de la faire précéder d’un intermède de tout repos. Il est allé annoncer à M. le Président de la République qu’il avait tristement échoué dans sa mission, et il lui a donné le conseil de faire appeler M. Léon Bourgeois.

Celui-ci ne songeait qu’à se faire oublier. On le soupçonnait déjà, s’il a les idées qui conviennent au chef du parti radical, de n’en avoir pas le tempérament, et ses amis commençaient à le lui reprocher avec un peu d’aigreur. Les responsabilités se sont quelquefois offertes ou imposées à lui sans qu’il les ait beaucoup recherchées : pour le moment, il ne s’applique qu’à les fuir. Est-ce en son parti qu’il n’a pas confiance ? Est-ce en lui-même ? Assurément, c’est en l’un ou en l’autre. Il semble éprouver quelque dégoût pour les intrigues de la politique intérieure où il a dépensé autrefois tant d’activité, peut-être en pure perte, et s’être