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l’harmonie. Quelle heureuse fortune lorsqu’en M. Massenet le virtuose et l’artiste se rencontrent ! D’un bout à l’autre de ce premier acte, ils demeurent inséparables. Esprit ou gaieté, sentiment, féerie, l’équilibre est parfait entre ces trois élémens ou ces trois notes fondamentales du sujet. Le musicien arrive au comique par des moyens très divers : quelquefois par l’ampleur et d’autres fois par la vivacité. Qui voudrait étudier l’esprit dans la musique, en trouverait (ici des exemples nombreux et différens. Ce serait la première injonction de Mme de la Haltière à ses filles : Faites-vous très belles ce soir ! où la force et vraiment la grandeur burlesque tient à la chute lente de notes intenses et graves. Dans le genre contraire, ce serait une réplique goguenarde de Pandolfe, le mari : quatre ou cinq notes encore, mais vives, légères, bouclées par une cadence tournante comme une pirouette : On va l’enfermer, elle est folle ! Hélas ! le diable soit de la musique, insaisissable langage dont on ne cite rien, ne pouvant citer que les mots ! « Clair de lune empaillé, » disait Henri Heine, parlant de poésie traduite. Je me fais l’effet, quand je veux commenter cette musique lumineuse, d’empailler des rayons de soleil.

Presque tout l’acte en est criblé. Les personnages se meuvent dans la joie. Père, mère, filles, valets et servantes, fournisseurs même, coiffeurs et modistes, la musique anime tout le monde et fait vivante toute la maison. L’esprit et la gaieté ne jaillissent pas en traits épars. Un acte comme celui-là ne renferme pas de jolies choses : il est une chose exquise. Un mouvement continu l’entraîne, une atmosphère l’enveloppe, et le délicieux trio de voix féminines qui circule entre les divers épisodes et les relie ne s’interrompt que pour reparaître sous des formes incessamment renouvelées.

Après la note comique, la note sensible (excusez l’équivoque ou le jeu de mots). Jamais le musicien de Manon, de Werther, ne la donna plus juste et plus fine que dans la chanson de Cendrillon devant l’âtre. Est-ce bien « chanson » qu’il faut dire ? Mais ce n’est pas non plus complainte, encore moins romance. Les Italiens ont un mot précieux : cantabile, quelque chose qu’on chante ou qui chante. Tour à tour, en ce monologue de Cendrillon, la musique chante et parle, soupire, songe et sourit tristement. Voilà encore un exemple de ce qu’on pourrait appeler dans l’art moderne la division du travail. Au lieu de la mélodie rossinienne, très franche, très ample, un peu massive, écoutez cette mélodie qui s’éparpille et se ramifie. Mélodie continue ou infinie, telle que Wagner nous l’a faite. Noire génie français peut bien l’atténuer, mais toute musique moderne la subit et ne l’éliminera pas de sitôt. Étant de