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qu’aux colons d’y importer des machines américaines, bien supérieures, selon M. Brown, aux machines anglaises.

Son nouveau métier le charmait : « C’est un plaisir, dit-il, qui tient de la fascination que de bâtir une maison dans le désert ; il faut l’avoir éprouvé soi-même pour l’apprécier. La joie que je ressentais à voir la rapide croissance de mes arbres et de mes plantations a fait des deux années que je passai dans ma ferme et dans l’air tonique du pays des Mashonas les plus savoureuses de ma vie. » En 1894 et en 1895, la nouvelle colonie eut la fortune prospère. Dans les champs mis en culture comme dans le district minier, le prix de la propriété haussait de mois en mois : c’était le temps où l’Angleterre affolée se jeta avec fureur dans les spéculations de l’Afrique du Sud, où, chaque jour, on voyait se créer des compagnies, qui n’avaient que la peine de se baisser pour ramasser des millions à la pelle. L’incursion malencontreuse de M. Jameson dans le Transvaal porta atteinte à la prospérité de la Rhodesia ; elle fut plus compromise encore par une redoutable épizootie, par la peste bovine, qui, de l’Ouganda, se propageant dans l’Afrique centrale, dévasta les troupeaux au sud du Zambèze. Elle éclata à Salisbury, au milieu du mois de mars 1896 ; quinze jours plus tard, les pâturages communaux offraient l’aspect de la désolation et de la mort ; presque tous les bestiaux atteints succombaient. Les colons ne s’étaient pas encore remis de la cruelle émotion que leur avaient causée leurs désastres, quand ils apprirent que les Matabélés étaient en révolte ouverte et massacraient les Européens.

Pourquoi les Matabélés s’insurgèrent-ils contre l’Angleterre ? Et par quelle raison le feu se communiqua-t-il aux Mashonas ? On a dit que les autorités anglaises, pour arrêter le funeste progrès de la peste bovine, avaient contraint les indigènes à abattre leur bétail. On a dit aussi qu’elles avaient exercé des vexations, des sévices. Un journal de Londres publia, en 1896, une dépêche de Johannesburg, qui attribuait l’insurrection aux libertés insolentes que prenaient les blancs avec les négresses. Les Anglais d’Angleterre s’émurent, s’indignèrent ; ils aiment à s’indigner, mais ils ne tiennent longtemps rigueur qu’aux criminels qui sont nés en France ou en Allemagne.

Il n’est guère de puissance européenne qui, dans ses entreprises coloniales, n’ait mêlé les violences aux actes d’autorité ; il n’en est point qui n’ait qualifié de forfait toute résistance des indigènes aux volontés ou aux caprices du conquérant. Ajoutons que, tout en les traitant de barbares, on ne laisse pas de s’approprier leur code criminel et leurs moyens de compression, leur justice expéditive et sommaire.