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Eh bien ! il le penserait que je n’en serais pas étonné ! M. Pozzi n’a peut-être pas calculé la portée de ses mots ; et, en tout cas, sa phrase trahit un « état d’âme » qui est, malheureusement, dans ces questions d’enseignement, celui de la plupart de nos politiciens. Les intérêts de l’enseignement se confondent pour eux avec les intérêts de l’Université de France, et d’ailleurs, ils ne se soucient, en prenant les intérêts de l’Université, que de fortifier ou d’étendre, en matière d’enseignement, le droit de l’État. Ce qui les « inquiète » au fond, ce n’est pas de savoir quelles sont les vertus éducatrices du latin ou du grec, de l’histoire naturelle ou de la géométrie, c’est « la diminution du recrutement des lycées et collèges de l’État. » Ils voient, non des concurrens, mais des adversaires dans les partisans de l’enseignement libre, pour ne pas dire des ennemis. Les questions d’enseignement ne sont pas du tout à leurs yeux des questions pédagogiques, mais d’abord des questions politiques. Ils ne parlent que de « former des hommes ; » et notons en passant qu’ils ne nous expliquent jamais ce qu’ils entendent par cette expression, — car en quoi la chimie, par exemple, ou la biologie sont-elles plus propres à former des hommes que le latin, ou même le sanscrit ? — mais ils ne songent, en réalité, qu’à se conserver ou à se préparer des « électeurs. » Et le vrai problème, enfin, n’est pas du tout pour eux de réformer ou de perfectionner l’enseignement, dont ils n’ont cure, mais d’organiser l’école primaire, l’enseignement secondaire, — et, s’ils le pouvaient, l’enseignement supérieur, — de façon à s’en faire un « instrument de règne. »

Nous ne leur reprocherons que de ne pas le déclarer plus franchement. Si l’on veut, en effet, que l’État soit et demeure le maître de l’enseignement public à tous ses degrés, nous ne le voudrions point pour notre part, et nous nous formons une autre idée de l’enseignement, moins jacobine, plus moderne, très voisine de celle que l’on s’en forme en Angleterre, ou plutôt encore en-Amérique, aux États-Unis, mais c’est une thèse, nous en convenons, qui peut se soutenir. Condorcet y inclinait, dans ces fameux Mémoires sur l’instruction publique, lesquels sont encore, — et non pas du tout « le décret impérial de 1808, » — la vraie base de notre système général d’enseignement. Il y inclinait, et il en donnait de plausibles raisons. Ces raisons ont touché jadis, et même convaincu, les Guizot, les Villemain, les Cousin. On peut, si l’on le veut, les reprendre, les développer, les