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clartés perdues dans l’œuvre ténébreuse des sophistes, à ces étoiles qui brillent à travers les arbres, et qu’il ne faut pas prendre pour « les fleurs de ces noirs rameaux, » citation écoutée religieusement tandis que le couchant étoilait les bosquets sombres du jardin ; et je sentais déjà la différence entre sa beauté et celle des classiques où j’apprenais à lire.

Plus tard ce furent les effets de chambre noire, les effrois macabres d’Eugène Sue ; les rodomontades et les témérités héroïques d’Alexandre Dumas. J’étais moins renseigné sur les choses de la peinture. Cependant Thoré, dans la Démocratie pacifique qu’on recevait à la maison, nous racontait, à propos des salons, combien étaient chaudes les disputes des Ingristes et des fanatiques de Delacroix. Je n’entendais rien aux théories de Thoré, mais il s’agissait d’art, ma passion, et, au milieu de mon éden solitaire, les périodes confuses de l’écrivain n’en bourdonnaient pas moins délicieusement à mes oreilles. C’est par lui et dans ces conditions exceptionnelles que j’appris l’existence de l’admirable colonie des paysagistes que l’amour de la nature retenait au fond des retraites champêtres et des bois. Je devais ne pas tarder à les connaître et à les aimer.


III

Camille Corot, et ensuite Théodore Rousseau, furent des novateurs modestes, inconsciens à leurs débuts. C’est plus récemment qu’est née, dans quelques esprits trop aventureux, l’absurde prétention de créer un art de toutes pièces. Nos deux futurs grands peintres consultèrent d’abord les maîtres anciens dont ils pénétrèrent le sens. Pour voir plus loin, pour découvrir de nouveaux horizons, il faut se placer sur les plateaux déjà conquis. Sans cela, c’est se condamner à errer dans l’obscurité barbare pour ne jamais en sortir.

Les maîtres de Corot furent le Poussin et Claude Lorrain qui, lui-même, procède du peintre des Andelys. Poussé par un sentiment irrésistible, par un profond et tendre amour de la nature, lorsque le jeune Camille pouvait s’échapper du triste magasin de rouennerie où son père le retenait prisonnier, on se le figure courant au Louvre, d’abord vers Claude, plus éclatant et dont les rayons d’or et les élégantes silhouettes durent souvent le consoler des pauvres lignes du comptoir et des sombres rayons de la boutique