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n’ayant pour protéger leurs membres en boudins, qu’un bouclier et un casque de pompier. Nous étions alors ignorans et présomptueux dans notre ardeur aventureuse et néanmoins pleins de conscience et de sincérité : on nous pardonnera les gorges chaudes dont nous saluions le départ des faux dieux vaincus.

Un de nos amis, le paysagiste Nazon, homme de beaucoup d’esprit, qui alors exposait avec succès et qui, à côté de ses tableaux, faisait de jolis vers, imagina un jour, à l’exemple de Lemierre, un poème sur la peinture ; et, prenant pour point de départ cette époque encore indécise, malgré l’éclat de quelques génies, mais, à coup sûr, fatiguée des froids classiques conventionnels, Nazon commençait son premier chant par cet hémistiche (le seul d’ailleurs qui eût pris forme) :

« Enfin David mourut... »


II

Si nous considérons une autre face de l’époque de la Révolution, nous voyons que, surtout sous l’influence de J.-J. Rousseau, l’un de ses précurseurs, elle eut de fréquens élans de cœur vers la nature. Mais ce sentiment, ayant subi, comme tout le reste, l’influence de ce temps qui ramenait tout au mythe, prit la forme d’une simple abstraction allégorique. La nature apparut comme une sorte de maternité des peuples, entrevue à travers les dogmes, farouche et jalouse, donnant au républicain ce qu’il réclamait : « Le fer et le pain, » et qui, entre deux émeutes, garde encore d’une main la pique des combats, tandis que de l’autre elle tend sa mamelle gonflée de lait amer. La Nature, ainsi comprise, ne répond nullement à l’idée que nous nous en faisons aujourd’hui et que nous allons étudier.

Nous venons de constater, j’y insiste, une contradiction qui nous montre une époque brûlante de passions sublimes ou criminelles, s’exprimant presque toujours dans un style enflé, lorsqu’il n’est pas trivial et grossier, et se personnifiant dans une mythologie surannée qui n’a plus rien de la poésie des sources divines auxquelles elle a été empruntée. Nous avons vu l’abus même de cet art de convention ramener les artistes à des accens de vie et de vérité ; puis, dans sa fiévreuse et inconsciente inspiration, Eugène Delacroix insuffler à la peinture une vaillance nouvelle, lui apporter des palpitations et des frissons inconnus ; Ingres,