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l’histoire, et rien ne troubla le regard tranquillement égoïste qu’il jeta vers les Grecs dont il s’aidait pour l’élaboration de ses toiles civiques. David, ambitieux avant tout, s’est servi de la politique pour arriver à la domination des arts ; et on doit reconnaître qu’il poursuivit ce but avec plus d’âpreté que de délicatesse, cherchant l’appui des tribuns en vogue (témoin Robespierre), pour les renier outrageusement, une fois tombés. Il poursuivit la basse popularité jusqu’à proposer l’abolition de l’Académie dont il avait sollicité les suffrages et dont il faisait partie. Et, quoique l’art charmant et puissant de Prud’hon protestât contre l’envahissement de cet idéal faux, le style de David s’imposa. Et, longtemps, rien ne put contre-balancer son influence despotique ; pas même la direction plus ample que prit bientôt le talent d’un de ses élèves, de Gros, le plus beau des hommes, et dont la séduction eût entraîné l’école, s’il eût été plus ambitieux.

David fut proclamé le rénovateur de l’art français. Quoique perverti et parfois très relâché, on se demande si l’art de ses devanciers directs ne valait pas mieux que cette innovation. Dans tous les cas, elle eût été inféconde, si, comme nous le verrons, Ingres ne l’avait pas singulièrement étendue et modifiée dans son caractère, tandis que Gros y mêlait un sentiment de vie et de couleur ; elle eût été inféconde, comme le sera toujours tout système ayant pour but de corriger la nature pour la ramener à un type uniforme et conventionnel.

Cette préoccupation a gâté même plus d’un de ses portraits ; toutefois, je me plais à signaler encore celui de Madame Chalgrin, si simple, si distingué, où le maître se retrouve avec son aisance et sa force naturelles, dont il paraît ne pas avoir lui-même senti le prix.

Mais j’arrive à son tableau du Sacre, souvent cité comme son chef-d’œuvre. J’ai beau le voir et le revoir, je n’ai qu’une médiocre admiration pour cette immense toile. La figure de Napoléon, quoiqu’elle manque de souplesse dans le modelé, est d’une belle fierté et donne bien le caractère d’un César. Le costume, très habilement peint, a dû plaire à Talma. Pie VII me paraît, aussi, bien en situation, pas trop humble devant le conquérant : il laisse entrevoir une résignation tranquille, sûr que son effacement ne sera pas sans revanche pour la papauté. Le fond de l’église, les ornemens sacerdotaux, tout cela est fort bien exécuté. L’Impératrice tombe en avant dans un équilibre douteux, qui ne nuit pas