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messageries à grande vitesse : il n’est pas douteux qu’il n’y ait, en outre, un important trafic de marchandises ; la profonde diversité des climats, c’est-à-dire des productions, que la ligne rapprochera d’une manière si sensible, doit provoquer de nombreux échanges. Il est tout d’abord un article qui, à lui seul, peut-être, pourrait, même indépendamment des voyageurs, procurer au Transsaharien un trafic rémunérateur ; c’est le sel. On sait que cette denrée indispensable manque à tout le centre africain. Dans certains endroits de cette région, on extrait le sel de la bouse de vache ou de plantes diverses ; ailleurs, on l’apporte laborieusement de l’oasis de Bilma, située au nord-est, où, d’après le voyageur allemand Nachtigal, se rendent chaque année à cet effet 70 000 chameaux[1]. Le sel revient, dans la généralité du Soudan, à 1 franc ou 1 fr. 50 le kilogramme. En France, le sel paie un impôt de 0 fr. 10 et se vend au détail une vingtaine de centimes le kilogramme ; il s’en consomme 330 000 000 kilogrammes, soit 9 kilogrammes à peu près par habitant. Le Transsaharien, en puisant le sel soit à Bilma, soit à la sebkha d’Amagdor, soit dans les chotts algériens, soit même dans les salins méridionaux de la France, pourrait, moyennant un fret de 100 francs par tonne, correspondant à 3 centimes 1/3 par kilomètre sur tout le parcours, — ce qui équivaudrait juste à notre impôt français, — faire baisser le prix du sel au Soudan à une vingtaine de centimes au lieu de 1 franc à 1 fr. 50 ; la consommation, en quelques années, en décuplerait ; en supposant qu’elle ne fût que de la moitié environ de celle de la population française, soit de 5 kilogrammes par habitant au lieu de 9 chez nous, comme la population à alimenter en cet article est d’au moins 30 millions, ce serait un trafic de 130 000 tonnes ; voulût-on le réduire d’un tiers, il resterait 100 000 tonnes, qui, à 60 ou 70 francs en moyenne par tonne, en supposant qu’une partie provînt du milieu du Sahara et le reste seulement du sud de l’Algérie ou de la France, représenterait 6 à 7 millions de francs ou 2200 à 2600 francs par kilomètre, de quoi couvrir, avec un seul article de marchandises, les frais d’exploitation de la ligne.

Nombreuses seraient d’ailleurs les autres sources de trafic : dans le sens du nord au sud, les céréales algériennes à destination de toutes les oasis sahariennes, dont l’importance irait en grandissant

  1. Elisée Reclus, Géographie universelle, tome XI, p. 819.