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Au point de vue des difficultés, la plus grande tâche était achevée ; en ce qui concerne les distances de la Méditerranée au Soudan, on avait fait 1 600 kilomètres environ, 1 300 à partir de la cessation du chemin de fer à Biskra ; il en restait douze à treize cents encore à parcourir, dans des conditions infiniment plus douces. Ainsi l’œuvre, quoique non terminée, était fort avancée. L’accident qui, d’une façon si cruelle, mit fin à l’exploration de Flatters, n’était pas de ceux qui eussent pu décourager un peuple doué de quelque persévérance. L’expérience vient de montrer, par le complet succès de la mission Foureau-Lamy, que, avec des précautions et une force suffisante, assez restreinte même d’une manière absolue, on peut déjouer la fourberie et l’inimitié des Touareg.

Telle est cependant la légèreté française, si peu habitués sommes-nous à persister dans un grand dessein, que la mort de Flatters fit, sans renonciation formelle, délaisser brusquement le projet, si chaleureusement accueilli, de la construction du chemin de fer transsaharien. Si, moins imprudent, l’infortuné colonel eût pu, comme M. Foureau vient de le faire, achever paisiblement la traversée du désert et arriver dans les environs du Tchad, il n’y a aucun doute, dans la disposition d’esprit où l’on était alors, que la construction du Transsaharien n’eût été entreprise, tout au moins amorcée. Les destinées de la France en Afrique en eussent été complètement modifiées, incomparablement agrandies. Depuis dix-huit années, on a laissé sommeiller ce grand projet ; vers 1890, un ingénieur des mines, qui s’est distingué par la création d’oasis dans la partie nord du Sahara, entre Biskra et Tougourt, M. Georges Rolland, l’a vainement repris. A notre tour, l’incident de Fachoda nous a amené à le tirer du sommeil et à le recommander au public ; l’opinion paraît de nouveau lui faire bon accueil. Les raisons qui ont fait constituer la grande commission du chemin de fer transsaharien en 1879 et qui firent entreprendre les explorations que nous venons de mentionner sont plus fortes que jamais ; et vraiment, ce n’est pas le massacre de la petite mission Flatters, à plus de la moitié du voyage, qui a pu diminuer l’utilité de l’œuvre et faire douter sérieusement de la possibilité de son exécution. Les Russes ont éprouvé de bien plus grands mécomptes dans leur carrière d’explorations ; ils ne se sont pas laissé arrêter par de très grands échecs, la disparition d’armées entières, comme celle de la première expédition de