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se concilient avec les principes de solidarité que lui, maçon, se targue d’incarner? Il professe le culte des grands hommes; au convent de 1898, on a prié M. Léon Bourgeois, alors ministre de l’Instruction publique, d’organiser chaque année, le 14 juillet, la fête d’un grand homme; tel Michelet en juillet dernier[1]. Mais les notables que la maçonnerie reçoit dans son Panthéon obtiennent ses hommages en raison du rôle de destructeurs qu’ils jouèrent, non en raison de leur rôle d’architectes : à l’inverse de cet éclectisme superficiel qui enseignait, il y a un demi-siècle, que tous les systèmes sont vrais en ce qu’ils affirment et faux en ce qu’ils nient, la maçonnerie apparaît comme l’adoratrice des négations.

Rien n’est plus curieux, d’ailleurs, que l’incessant emploi quelle fait du mot « tolérance; » et j’y verrais moins, pour ma part, le résultat d’une hypocrisie, que l’effet d’un contresens. Être tolérant, pour le vulgaire, signifie laisser à toutes les opinions un large et libre champ d’épanouissement. Pour la maçonnerie, — et peut-être Voltaire fut-il, à cet égard, le plus accompli des maçons, — cela veut dire : lutter contre toute intolérance. Or l’affirmation est en elle-même une intolérance, puisqu’elle exclut son contraire : a fortiori passe-t-elle pour une oppression, lorsqu’elle porte sur un objet transcendant. Toute idée susceptible d’être niée par un maçon est intolérante ou risque de devenir telle, par là même qu’elle s’énonce; il y a donc là un danger : l’intolérance personnelle du maçon à l’endroit de cette idée est un hommage suprême à la « tolérance » abstraite ; et c’est ainsi qu’au nom de cette « tolérance, » toute spéculation dépassant la sphère des réalités vérifiables, nous allions dire brutales, est ouvertement proscrite, de même qu’au nom de la « liberté absolue de conscience » on déclare « qu’on ne peut ni ne veut avoir aucun respect pour les pratiques religieuses[2]. » M. Blatin, en 1894, à la conférence maçonnique internationale d’Anvers, a très clairement expliqué qu’au XVIIIe siècle, quand il n’y avait que des déistes, — et M. Blatin, sans doute, ignorait Helvétius et d’Holbach, — le vocable du « Grand Architecte » n’avait rien d’intolérant, mais qu’à notre époque, où les athées sont nombreux, ce vocable était devenu « un drapeau d’intolérance, dont la suppression s’imposait[3]. » Tandis que les précurseurs de l’idée

  1. C. R. G. O., 19-24 sept. 1898, p. 279.
  2. B. G. O.. août-sept. 1895, p. 308-309.
  3. B. G. O., mai 1895, p. 71. — Cf., dans le rapport de Merchier au convent de 1895. B. G. O., août-sept. 1895, p. 167. un passage analogue sur les « trois étapes de la tolérance. »