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d’administration. Les délégués revenaient ensuite auprès du Comité pour lui rendre compte des confidences qu’ils avaient faites et de celles qu’ils avaient reçues, et cette intrusion du Comité dans le gouvernement, ce délayage, qu’on nous passe le mot, du gouvernement dans le Comité, rendaient de plus en plus difficile de savoir non seulement comment, mais encore par qui nous étions gouvernés. Par qui, maintenant, allons-nous l’être ? Ce ne serait pas un spectacle banal que celui d’un ministère qui réunirait M. Millerand, M. Viviani, M. Pelletan, à un même nombre de modérés et de progressistes. Nous plaignons M. le Président de la République, si le parlement, par la confusion qu’il a introduite en lui-même, s’est mis dans l’impossibilité de fournir des indications plus claires. Où est aujourd’hui la majorité ? Y en a-t-il une ? Y a-t-il moyen d’en faire une ? On n’aperçoit pas, dans celle qui a renversé M. Dupuy, même le germe d’un principe de gouvernement. Elle est en effet plus mélangée encore, et, s’il est permis de le dire, plus anarchique dans sa composition, que le Comité de salut public, puisque, à côté des socialistes, des radicaux et des progressistes, on y voit figurer un nombre important de membres de la droite. La majorité qui a renversé M. Dupuy est une majorité de coalition, et ce n’est pas non plus en elle que M. le Président de la République peut trouver une indication utile. Mais alors que faire, et de quel côté s’orienter ?

Un seul point, au milieu de tant d’inquiétudes, nous paraît de nature à rassurer, pourvu toutefois qu’on s’y tienne avec énergie. C’est par là que nous avons commencé nos observations, et que nous les finissons. Si on le veut bien, l’affaire Dreyfus peut être terminée dans quelques semaines. Radicaux et socialistes regardent la revision du procès de 1894 comme un triomphe politique pour eux, un premier succès dont ils espèrent faire sortir plusieurs autres. Nous n’y voyons, nous, qu’un arrêt de justice, dont nous sommes loin assurément de nier l’importance, mais qui ne doit pas servi ?, de régulateur à toute notre évolution politique, ni surtout en précipiter le mouvement. Nous y voyons plutôt un moyen d’expurger définitivement de l’affaire Dreyfus notre politique intérieure et même extérieure, sur lesquelles elle a pesé si lourdement, et à ce titre nous serions tentés d’appeler l’arrêt de la Cour « un document libérateur, » si le mot n’avait pas été déjà si étrangement employé. Loin de se mêler dans une masse confuse, les partis doivent tendre de plus en plus à redevenir eux-mêmes et à reconstituer leur personnalité compromise. Cette affaire a agi sur beaucoup d’esprits comme une maladie véritable.