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monde, ou à peu près, annonçait le ferme propos de le respecter ; mais les uns le faisaient du bout des lèvres, et les autres du fond de leur conscience. Nous avons été de ces derniers. En nous refusant à résoudre de notre seule autorité la question obscure que d’autres tranchaient avec tant d’assurance et d’intolérance, nous faisions déjà acte de respect envers ceux qui ont pour mission souveraine d’interpréter et d’appliquer les lois. Il ne nous est jamais venu à la pensée de substituer notre jugement au leur. Ils ont fait une vaste enquête, ils ont entendu de nombreux témoins, ils ont eu sous la main des pièces importantes, ils ont pu réunir mille moyens d’information qui nous manquaient. On sait de plus quel scrupule s’est emparé de beaucoup d’esprits, et comment il y a été fait droit. Ce n’est pas le gouvernement qui a pensé le premier, mais on a pensé pour lui, et il s’est empressé d’accepter cette opinion toute faite, qu’il y avait lieu d’adjoindre à la chambre criminelle les deux autres chambres de la Cour de cassation, afin, disait-on, de donner plus de solennité à l’arrêt qui serait rendu par la Cour plénière.

Ennemis des lois de circonstance, si nous n’avons pas approuvé celle-là, nous l’avons pourtant acceptée. Elle avait pour objet de rendre la revision plus difficile, mais il semblait par là qu’elle dût lui ajouter un surcroît d’autorité, si elle était finalement prononcée. En accumulant les obstacles, on exigeait une force de conviction plus grande de la part de la Cour de cassation. Pendant quelques semaines, les deux partis ont gardé leurs positions respectives, chacun d’eux annonçant sa victoire comme certaine, et la célébrant d’avance avec un éclat évidemment destiné à produire de l’effet sur la Cour de cassation, mais qui n’en a produit aucun. Tout le monde sentait d’ailleurs et se rendait compte que les conclusions du rapporteur auraient un poids décisif, lorsque la Cour aurait à conclure elle-même. M. Ballot-Beaupré avait l’estime et la confiance de ses collègues, et sa conviction personnelle devait déterminer beaucoup de celles qui restaient en suspens. Ceux qui ont assisté à la lecture de son travail ont rendu justice à son ordonnance méthodique et claire, à l’impartialité avec laquelle les argumens pour et contre y ont été exposés ; et tous se sont laissé gagner à sa propre émotion, lorsqu’il a fini par dire qu’en son âme et conscience, il y avait, dans l’état actuel des choses, un fait nouveau susceptible d’établir l’innocence du condamné. À partir de ce moment la cause de la revision était gagnée. La Cour n’a pas tardé à rendre son arrêt, qui cassait celui de 1894, et renvoyait l’affaire devant le conseil de guerre de Rennes. Celui-ci