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d’attente à l’orifice d’un trou « aveugle, » et se traînait en chancelant vers le village, malade de faiblesse et de vertige, — il fit halte pour s’adosser contre une grosse pierre roulée, posée à la façon des roches branlantes sur la saillie d’une pointe de glace. Son poids rompit l’équilibre de la pierre, qui chavira lourdement, et, comme Kotuko faisait un saut de côté pour l’éviter, elle glissa derrière lui, grinçante et sifflante, sur la glace en pente.

C’en fut assez pour Kotuko. Il avait été élevé à croire que chaque rocher, chaque galet renfermait un habitant (son inua), — c’était généralement une sorte de chose féminine à un œil, appelée une tornaque, — et que, lorsqu’une tornaque voulait venir en aide à un homme, elle se mettait à rouler derrière lui dans sa maison de pierre, et lui demandait s’il désirait la prendre comme bon génie. Aux dégels, en été, rochers et galets, étayés par les glaces, ne font que rouler et glisser sur toute l’étendue de la plaine, d’où — vous pouvez l’imaginer sans peine — cette croyance aux pierres vivantes. Kotuko entendait le sang bourdonner dans ses oreilles, comme il l’avait entendu tout le jour, mais il pensa que c’était la tornaque de la pierre qui lui parlait. Avant d’avoir atteint la maison, il avait tenu avec l’esprit, il en était tout à fait certain, une longue conversation, et, comme tous les siens croyaient la chose très possible, il ne trouva personne pour le contredire.

— Elle m’a dit : « Je saute, je descends de ma place sur la neige, » — criait Kotuko, et ses yeux creux brillaient, comme il se penchait en avant dans la demi-obscurité de la hutte. — Elle a dit : « Je vous servirai de guide... » Elle a dit : « Je vous mènerai aux bons trous de phoques... » Demain je vais sortir, et la tornaque me conduira.

Alors l’angekok, le sorcier du village, entra dans la hutte, et Kotuko raconta l’histoire une seconde fois. Elle n’y perdit rien.

— Suis les tornaits (les esprits des pierres) et ils nous apporteront à manger de nouveau, dit l’angekok.

Jusqu’à ce moment, la jeune fille qui était venue des pays du Nord avait passé ses journées près de la lampe, mangeant fort peu et parlant moins, mais, comme le matin suivant, Amoraq et Kadlu chargeaient et ficelaient un petit traîneau à main pour Kotuko, après y avoir emballé son attirail de chasse avec autant de graisse et de viande de phoque gelée qu’ils en avaient pu épargner, elle s’empara de la corde pour le tirer, et vint se placer hardiment aux côtés du jeune garçon.