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tout en rampant. Alors Kadlu s’éveilla, empoigna la lourde tête de loup, et plongea son regard au fond des yeux vitreux. Le chien geignit, comme s’il avait peur, et se mit à grelotter contre les genoux de Kadlu. Les poils se hérissèrent sur son cou, et il commença à gronder comme si un étranger était à la porte ; puis il aboya joyeusement, et se roula par terre en mordillant, à la manière d’un petit chien, la botte de Kotuko.

— Qu’est-ce que c’est ? — demanda Kotuko qui commençait à avoir peur.

— Le mal, répondit Kadlu. C’est le mal de chien.

Kotuko, le chien, leva le nez et se mit à hurler de plus belle.

— Je n’avais jamais vu cela. Que va-t-il faire ? demanda Kotuko.

Kadlu haussa les épaules et traversa la hutte pour aller chercher son harpon-poignard le plus court. Le gros chien le regarda, hurla encore et plongea dans le couloir, tandis que les autres chiens s’écartaient de droite et de gauche pour lui faire large place. Dehors sur la neige, il aboya furieusement, comme sur la trace d’un bœuf musqué, et tout aboyant, sautant et gambadant, fut bientôt hors de vue. Son mal n’avait rien de l’hydrophobie, et n’était que simple démence. Le froid et la faim, et, par-dessus tout, l’obscurité lui avaient tourné la tête. Et, une fois que le terrible mal de chien s’est manifesté dans un attelage, il s’étend comme une traînée de poudre. Le jour de chasse suivant, un autre chien tomba malade et fut tué sur place par Kotuko, pendant qu’il mordait et se débattait parmi les traits. Puis, le second chien noir, qui avait été jadis le conducteur, donna tout à coup de la voix sur une trace de renne imaginaire, et, en un tour de main, délivré du pitu, sauta aussitôt à la gorge... d’un bloc de glace, et disparut au galop, comme avait fait son chef, le harnais sur le dos. Après cela, personne ne voulut plus sortir les chiens. On en avait besoin pour autre chose, désormais, et ils savaient pourquoi ; et, bien qu’à l’attache et nourris à la main, leurs yeux étaient remplis de désespoir et de crainte...

Kotuko s’affligeait plus de la perte de son chien que de tout le reste, car, bien qu’un Inuit mange énormément, il sait jeûner aussi. Mais la faim, l’obscurité, le froid, les intempéries affrontées agirent sur sa force de résistance, et il commença à entendre des voix à l’intérieur de sa tête, et avoir du coin de l’œil des gens qui n’étaient pas là. Une nuit, — il s’était débouclé après dix heures