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sont originaires du Chan si, tous les grands marchands de thé viennent du ’An hoei ; les gens du Chan tong ont à Péking trois spécialités : ils sont les seuls à saigner les porcs et à en débiter la viande ; ils sont aussi seuls porteurs d’eau, chacun a son puits sur la voie publique, son abreuvoir pour chevaux et mules, son quartier où il vend l’eau sans permettre aux habitans de se fournir ailleurs. Ce sont là des privilèges consacrés par l’usage, défendus ardemment par leurs détenteurs et que l’autorité fait respecter au besoin.

Des associations sont formées même par les coulies qui manipulent les marchandises sur les quais des ports ouverts, population flottante, misérable, souvent divisée en groupes qui se réservent chacun une portion d’un quai ; même par les mendians, et les corporations de ceux-ci ne sont peut-être ni les moins curieuses ni les moins puissantes, mais elles touchent de trop loin au commerce pour que j’en parle ici.


V

Ces détails montrent par quelle variété de formes les corporations assurent toutes le même résultat, l’organisation du travail ; l’on voit aussi combien elles s’étendent au delà du commerce, combien elles sont mêlées à la vie de la population et combien sont puissantes les tendances qui les ont produites et les maintiennent. Le Chinois, en effet, est essentiellement sociable ; la naissance le met dans une famille étroitement unie, seule agissante et dont il n’est qu’un fragment ; la terre qu’il possède le fait membre d’une commune rurale ; l’émigration le jette dans une association de compatriotes, nés dans la même province, souvent dans le même district ; l’empreinte dont le marque l’apprentissage en fait le membre d’une classe et, s’il est patron, d’une corporation, non pas un homme vivant par soi et pour soi. Il n’a pas l’habitude de l’indépendance, il n’en a pas l’idée. Isolé, il ne vit qu’à demi ; une affinité puissante le soude à ses semblables, comme l’affinité chimique soude les molécules de l’oxygène et de l’hydrogène ; doué de plus de passivité que d’énergie, il vit, il pense en groupes. Aussi l’autorité de la corporation, loin d’être étrange pour le commerçant, est un besoin pour lui. Et par une conséquence de ce consentement universel, la corporation a le droit implicitement admis de requérir l’obéissance de ses membres, de contraindre