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et que le « Frère surveillant, » sur l’ordre du « Vénérable, » arrachait de leurs jeunes fronts les trois « étoffes sombres » sur lesquelles on lisait en lettres d’or : « Misère, ignorance, fanatisme. » Mais M. Blatin, longtemps maire et député radical de Clermont-Ferrand, a préconisé, non sans succès, au cours des dernières années, ce qu’il appelle la Maçonnerie blanche. « Les symbolismes, disait-il au convent de 1883, ont jusqu’ici abrité, dans leurs formes toujours puissantes, les doctrines d’ignorance et de servitude… Le grand obstacle que rencontre la propagation de la libre pensée, c’est cette absence complète de symbolisme qui en rend la pratique d’une aussi glaciale austérité… La naissance, l’adolescence, le mariage, la mort, seront toujours des occasions de joies ou de douleurs, de regrets ou d’espérances, qui demandent à se manifester par des signes physiques et par des formules spéciales dont les religions ont su jusqu’ici conserver un monopole qu’il est de notre devoir de leur disputer aujourd’hui… C’est au moyen de la maçonnerie blanche que nous arriverons peu à peu à gagner les masses populaires et à faire pénétrer les profanes dans nos temples[1]. » Acclamé par le convent, M. Blatin se mit à l’œuvre : en 1886, il faisait imprimer, à Clermont même, un Rituel de cérémonie funèbre pour tenue blanche ; en 1895, il publiait, au Grand Orient, un Rituel d’adoption et un Rituel de reconnaissance conjugale.

Ce dernier, surtout, mérite attention : écrit avec recueillement, il le faut lire de même. Ce qui frappe tout d’abord, c’est l’emploi constant et l’apologie systématique d’un symbolisme extrêmement compliqué, sans racines historiques, sans attaches traditionnelles, symbolisme tout abstrait qui, tant bien que mal, ajuste à des idées éperdument générales les objets portatifs qui tapissent ou meublent les temples. Le Vénérable qui célèbre d’après le rituel Blatin doit expliquer que « ce symbolisme n’a rien de commun avec celui des sectes religieuses, » qu’il en est au contraire l’« antidote, » qu’il a pour but de « matérialiser les devoirs nouveaux qui s’imposent aux époux, » et n’est qu’un « procédé emprunté à l’universelle mimique dont l’humanité s’est servie de tout temps, une des formes du langage universel. » Sous les auspices de ces déclarations, les Frères qui assistent le Vénérable viennent jouer sous les yeux du jeune couple les épisodes de

  1. Blatin, Rituel de cérémonie funèbre pour tenue blanche, Préface. Clermont-Ferrand, Imprimerie clermontoise, 1886.