Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/855

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

subsiste aucune barrière entre artisans et marchands, et à peine davantage entre ces deux classes, que le langage tient encore pour inférieures, et les cultivateurs, la seconde caste de jadis. Sans doute, la placidité naturelle aux paysans chinois, les durs travaux qui les écrasent, leur enlèvent souvent le désir et le moyen de changer de condition ; mais le petit commerce de colportage se fait en Chine avec un si mince capital que bien des gens, paysans un jour, coulies au port ouvert l’hiver pendant le chômage, achètent ensuite un éventaire, des paniers, quelques marchandises tout naturellement et sans y penser. Très souvent une famille de cultivateurs aisés envoie un ou deux de ses fils à la ville voisine en apprentissage. De même, les clercs de yamen, classe intermédiaire entre les mandarins et le peuple, copistes, secrétaires, garçons de bureau, sont journellement en rapports d’affaires avec les commerçans et font volontiers apprendre le commerce à quelques-uns de leurs enfans. Seuls les fils de fonctionnaires seraient difficiles à trouver dans les boutiques ; c’est que l’éducation littéraire, purement phraséologique, les rend impropres au maniement des affaires, bien plus à toute sorte de vie pratique ; d’ailleurs le lettré (et est lettré quiconque a été candidat aux examens ou a seulement étudié pour se présenter) doit mépriser l’argent ; on cite dans l’antiquité chinoise, aussi bien qu’en Corée, de beaux traits de désintéressement ; je doute que les lettrés d’aujourd’hui soient unanimes dans le mépris du vil métal, ils ont du moins conservé le dédain du commerce et le tiennent pour une occupation dégradante. Mais c’est là une opinion mondaine (si je puis employer ce mot en parlant de la Chine, où la société mondaine n’existe pas) ; la loi, la coutume même sont plus équitables ; il n’est pas de promotion où le fils de quelque marchand ne soit reçu bachelier pour la valeur de ses compositions ; si parfois les lettrés de race lui font sentir son infériorité originelle, comme les journaux en relataient récemment un exemple à ‘An lou fou (Hou pei), le fait est rare et on le remarque. La classe commerçante, par ses origines et par ses issues, touche donc à toutes les classes de la société et communique librement avec elles, elle n’est plus une caste, et depuis longtemps ; ce qui distingue les hommes en Chine, c’est le genre de vie, le métier, la fortune, ce n’est pas la naissance.

Le jeune apprenti, présenté par son père ou par des répondans, est désormais dans la main du patron. Pendant ses trois