Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/837

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

production et de consommation, ne pouvant améliorer le sort que d’un petit nombre de privilégiés, etc. »

Remarquons-le cependant : la tendance à la fois trop universalisa et trop individualiste des Français ne s’est guère manifestée que depuis un siècle ou deux. Au moyen âge, pendant la belle période, de tous les peuples de l’Europe, ce fut précisément la France qui posséda les associations ouvrières coopératives les plus nombreuses et les plus importantes. Seulement, dans la suite, nulle part la royauté et les classes bourgeoises n’ont eu autant d’influence, nulle part le principe de l’association chez les travailleurs n’a plus souffert. Ce principe y aurait peut-être disparu, sans la résistance des sociétés de compagnonnage. Dans les États germaniques et anglo-saxons, où le pouvoir central avait été moins fort et où, de plus, les ghildes avaient eu plus d’importance, les associations ouvrières se maintinrent mieux et plus longtemps[1]. En Italie, les associations ont eu un grand rôle, et tout récemment encore, à partir de 1880, elles ont pris un développement énorme, jusqu’à devenir par leur fédération une des causes des dernières révoltes en Italie. On prétendait pourtant que l’Italien était individualiste, et, disait M. Garofalo, « impropre à l’association ! » Il faut se défier de toutes ces généralisations arbitraires et ne pas attribuer à la France plus qu’à l’Italie une sorte d’inaptitude foncière à s’associer. Les lois, les mœurs, la politique, l’histoire même et les traditions ont joué en tout cela le plus grand rôle. Si la liberté d’association a été entravée en France par tout un arsenal de lois dues à la Révolution et à l’Empire, si le droit public est resté hostile au principe d’association, ce fait tient encore moins au caractère même de la nation qu’aux événemens historiques et à la situation de la France, qui l’obligeait à un gouvernement fort, très centralisé, alors que l’Angleterre, dans son île, pouvait laisser champ libre aux individus et aux associations. Enfin le petit commerce, qui a en France un développement aussi considérable qu’il est faible en Italie, fait obstacle par son hostilité au développement des associations.

Au reste, quoique inférieur encore à celui de l’Allemagne et de l’Italie, le mouvement des sociétés coopératives s’est cependant accentué en France. Nos 1 200 sociétés de consommation comprennent un nombre considérable d’adhérens. Nos coopératives

  1. Voyez Fournier de Flaix, A travers l’Allemagne.