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du XVIIIe siècle ne se dissimulaient pas qu’on encourageait ainsi certains abus : n’était-ce pas, disaient-ils eux-mêmes, rendre ces jugemens définitifs sujets à l’appel, éterniser les contestations ? Il paraît, répondait l’un des meilleurs, qu’on doit néanmoins admettre dans la révision toutes sortes de moyens de mal jugé : « L’ancienne pratique de la révision, la signification du mot même de révision, le désir qu’on doit avoir de découvrir l’innocence, tout concourt à donner toute l’étendue possible à la révision et à autoriser un condamné, ou ses héritiers, à faire connaître qu’il est innocent. » Il faut reconnaître qu’un sentiment généreux animait dans la circonstance ces praticiens endurcis, et Beccaria n’eût pas dit mieux. Jousse ajoutait, pour rassurer les autres, peut-être pour se rassurer lui-même : « D’ailleurs, revoir un procès déjà vu et jugé, ce n’est pas traiter le juge comme un juge sujet à appel, si on lui renvoie cette révision à lui-même, ainsi qu’il est porté par l’art. 9 du titre XVI de l’ordonnance de 1670 ; c’est appeler du juge mal informé au juge mieux informé. » Sans doute, mais ce raisonnement de jurisconsulte n’avait pas une bien grande portée.

Pour élargir encore la sphère de la révision, on donnait un dernier coup à la chose jugée : « Et quand, poursuivait le même criminaliste, on soutiendrait, avec quelques auteurs, qu’anciennement, dans les révisions et propositions d’erreur, on ne pouvait être admis qu’en prouvant une erreur de fait, il y aurait toujours cette différence entre les révisions qui étaient admises en matière civile et en matière criminelle que, pour les premières, il fallait qu’il parût une espèce d’évidence d’erreur de fait ; au lieu qu’en matière criminelle, un simple doute raisonnable suffit quand il s’agit d’établir une innocence. » Nous touchons au plus complexe et au plus grave des problèmes : le lecteur s’en apercevra plus tard.

Les jurisconsultes modernes ont expliqué d’une manière assez étrange cette grande faveur que nos aïeux attachaient aux procédures de révision. Tandis, ont-ils dit, que nos jugemens par jurés, où toutes les garanties entourent l’accusé, où toutes les preuves éclairent le débat, où la défense est libre, « portent en eux-mêmes un caractère de vérité, » les accusés, sous l’ancien régime, étaient jugés sur une instruction écrite, sur des preuves légales, et par une magistrature permanente : « Le législateur, qui avait la conscience de la débilité de ses moyens de preuve, concluait en 1860