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(bientôt duc de Luxembourg), l’évêque remercie : « la Reine est contente ; elle a été grandement touchée ; » même, il dissimule : « La Reine a grandement approuvé le choix du colonel d’Ornano, en qualité de gouverneur de Monsieur, » tandis qu’en réalité, elle est furieuse. Dans une première rédaction de cette lettre, l’évêque avait été jusqu’à louer ce qui s’était fait au sujet de la délivrance du prince de Condé. Mais il réfléchit ; une pareille déclaration est trop importante ; elle l’engage. Aussi supprime-t-il la phrase déjà écrite, et la remplace-t-il par de vagues protestations d’amitié. Cependant, cette simple rature en dit long.

Six semaines après, en décembre 1619, Richelieu constate que les forces se groupent autour de la Reine ; il parle déjà un autre langage : « Je ne doute point, comme il vous plaît me mander, qu’il ne se trouve partout des gens qui voudroient brouiller les cartes ; mais, ainsi que vous êtes sûrs de votre part, assurez-vous aussi, s’il vous plaît, de la nôtre… Je vous ai dit plusieurs fois, Monsieur, qu’il se peut bien rencontrer des occasions qui ne plaisent pas à la Reine, mais, que rien ne peut détraquer du bon chemin, je vous le dis encore, et est chose vraie… J’espère que nous vous verrons bientôt, et, toutefois, je ne puis encore vous mander de temps préfixe. » Les choses se gâtent. À la fin du mois, le ton a encore changé : « Au commencement, la Reine a été très-satisfaite et très-contente et a cru fermement que vous vouliez prendre confiance en elle ; ensuite de quoi, ce qui s’est passé a troublé son contentement et lui a fait appréhender de s’être méprise… Vous savez, Monsieur, que je ne suis ni d’humeur ni de condition de tromper personne (quelle dure ironie !) et que, désirant passionnément le service du Roi et de la Reine, je suis véritablement votre serviteur. Le but de la Reine est de vivre en paix et en repos ; rien ne peut apporter de changement en ce dessein. Je vous supplie de m’en croire, car je le sais. Mais il est impossible qu’elle n’ait de ressentiment des actions qu’elle estime se passer à son préjudice. »

Ce sont là des lettres comme ceux qui sont au pouvoir n’aiment pas beaucoup à en recevoir. Luynes, qui ne se trompe guère sur ce qu’on lui veut, fait trêve aux complimens et emploie, à son tour, les grands moyens. En juin 1620, quand on envoie près de la Reine le duc de Montbazon, celui-ci reçoit, pour ce qu’il convient de dire à l’évêque, une instruction des plus catégoriques. « Il avoit charge de dire au sieur de Luçon que le Roi trouve fort